Home ActualitéGaza : Entre mort et déplacement, une souffrance sans fin

Gaza : Entre mort et déplacement, une souffrance sans fin

by Sara
Palestine, Israël

À Gaza, la mort paraît parfois préférable à l’errance sans fin du déplacement. La mort met un terme à la douleur ; le déplacement l’aggrave, ouvrant une blessure qui ne cicatrise jamais.

À Gaza City, nous sommes confrontés à deux choix amers : rester et risquer la mort ou l’emprisonnement, ou fuir vers le sud et vivre l’impossible dans un camp. Le déplacement n’est pas seulement un déménagement : c’est une lente agonie faite d’incertitude, de fatigue et de peur.

Un choix brutal : rester ou fuir

Partir signifie entreprendre un voyage sans garantie d’abri, de nourriture ou d’eau. Même atteindre un centre d’hébergement n’offre aucune sécurité réelle : la mort peut vous y rattraper.

Pour ma famille, le déplacement répétitif est devenu la norme depuis le début de la guerre. Nous avons été déplacés quinze fois, et chaque fois a été plus dure que la précédente.

Une odyssée de quinze déplacements

À chaque mouvement, nous avons perdu des biens, notre santé et notre sentiment de sécurité. Voici le parcours que nous avons suivi :

  • Octobre 2023 : fuite du quartier de Tal al-Hawa.
  • Novembre : abri à l’école Al-Bahrain jusqu’à la mi-novembre.
  • Retour chez un oncle à Tal al-Hawa, puis chez une tante à Zeitoun.
  • Déplacements successifs entre maisons de proches dans Tal al-Hawa, chez des voisins, dans un sous-sol.
  • Fuite à l’école Al-Bahrain après le survol d’un missile non explosé.
  • Passages par les quartiers de Daraj, le port, et de nouveau chez mon grand-père à Tal al-Hawa.

Chaque retour et chaque nouvelle fuite se sont faits dans la peur permanente d’être frappés encore une fois.

Famine, maladies et perte de dignité

La faim s’est installée progressivement et m’a profondément marqué. À chaque regard porté sur la nourriture, elle semblait rétrécir, et j’avais peur de manger de peur qu’un des nôtres meure de faim.

J’ai perdu 10 kg, je suis devenu très faible et j’ai été diagnostiqué avec une anémie et des carences en vitamines. En juillet, nous avons vendu la tente qui nous servait de refuge pour 140 dollars afin d’acheter de la farine.

Les tentes sont désormais rares et très chères — certaines se vendent jusqu’à 1 000 dollars. Trouver un terrain pour la planter est aussi devenu un luxe : des parcelles autrefois vides se louent désormais 30 dollars le mètre carré par mois.

Le 7 septembre : perte et deuil

Quand Israël a annoncé une nouvelle offensive sur Gaza City, nous avons sombré dans le désespoir. Nous ne pouvions pas fuir vers le sud : pas d’argent pour le transport, aucun proche dans le sud, et plus de tente.

Le 7 septembre, notre immeuble a été bombardé après que des voisins aient reçu un appel indiquant que la mosquée voisine serait visée, avec seulement sept minutes pour évacuer. J’ai pris quelques vêtements et une lampe de bureau offerte par un ami, et je suis sorti en courant avec mes frères et sœurs.

Mon père est retourné plusieurs fois dans l’immeuble pour récupérer des affaires et de la nourriture. Il est revenu tenant le sac de farine. Quelques instants après, au lieu de la mosquée, c’est la maison de mon grand-père qui a été touchée. Mon grand-père, trop proche du bâtiment, a été tué.

Nous sommes à nouveau sans abri et en deuil d’un être cher. Forcés de nous réfugier chez une tante, nous restons dans un secteur également menacé d’évacuation et de bombardement parce que nous n’avons nulle part où aller.

La peur du sud et les rumeurs inquiétantes

Israël affirme que le sud est sûr, mais cette affirmation est contredite par les frappes qui touchent régulièrement les camps d’al-Mawasi. Nous entendons presque chaque jour parler d’attaques de drones et de bombardements de tentes.

Il y a une semaine, une tente occupée par une famille arrivée trois heures auparavant a été bombardée ; trois membres de la famille ont été tués. Ces récits nourrissent nos craintes quant à ce que l’on prépare pour nous.

Des rumeurs circulent sur la mise en place de camps dans le sud comparés à ceux créés par les nazis : anonymisation des personnes par des numéros, confiscation des téléphones pour empêcher la documentation, rationnement strict de la nourriture.

Le déplacement à Gaza : vol de vies et d’âmes

Le déplacement nous a volé non seulement nos maisons et nos souvenirs, mais aussi notre âme. Nos visages sont pâles de faim, de chagrin et de peur.

Autrefois, j’étais « marchand d’espoir ». Aujourd’hui, je quémande le moindre mot d’espérance. J’ai enduré la faim, la soif, les missiles et des pertes insoutenables.

Je ne sais pas si je survivrai à mon quinzième déplacement. Mais raconter ce que nous vivons est devenu une nécessité face à l’oubli et à l’indifférence.

source:https://www.aljazeera.com/opinions/2025/9/9/in-gaza-city-death-seems-easier-than-displacement

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