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Chaque matin à Gaza commence par une question douloureuse : que mangerons-nous aujourd’hui ? Il ne s’agit pas d’un luxe ni même d’un choix, mais d’un dilemme quotidien qui pèse lourdement sur les épaules des parents. Après cinq mois de blocus strict imposé par les forces d’occupation israéliennes, toutes les formes de nourriture ont disparu, et toutes les alternatives ont été épuisées pour surmonter la faim.
La peur de la guerre et de la faim s’entremêlent dans l’esprit des parents. Chaque jour où ils croient avoir échappé à la mort par les bombes, leur inquiétude grandit face au spectre d’une mort par la faim. L’occupation a décidé de laisser les estomacs des petits, des grands et des malades vides, sans leur fournir de quoi survivre.
Personne à Gaza n’échappe aux conséquences mortelles de cette privation alimentaire. Alors que la malnutrition a déjà coûté la vie à 620 Palestiniens, dont 69 enfants, tous craignent de devenir les prochains sur la liste des victimes de la faim dans les hôpitaux du secteur.
Une incertitude quotidienne
Dans un tourbillon de confusion quotidienne, le journaliste de cette dépêche, comme d’autres, passe de longues heures à parcourir les marchés à la recherche d’un peu de nourriture. Les prix ne trouvent pas leur place dans les dictionnaires habituels de l’inflation : ils sont un fléau qui brûle plus de deux millions de Palestiniens poussés tous dans la pauvreté par la guerre.
Depuis la fermeture totale des points de passage de Gaza en mars dernier, la quête de nourriture est devenue une bataille perdue d’avance. Les marchés sont vides de farine, légumes, fruits, lait, viande et volaille. Trouver des légumineuses ou des conserves demande un effort considérable et mobilise un temps précieux, obligeant à se déplacer de marché en marché avec peu d’espoir de revenir avec assez pour les enfants affamés.
Les évanouissements soudains dans les rues et marchés ne surprennent plus personne. Les passants sont souvent restés plusieurs jours sans nourriture et cherchent désespérément une cuillère de sucre pour reprendre conscience, souvent en vain.
Une nuit à deux heures du matin, un voisin frappa à ma porte, le ton suppliant : « J’ai besoin d’une cuillère de sucre, c’est urgent, ma mère malade va mourir sans ça ». Malgré plusieurs démarches nocturnes, trouver ne fut pas possible. Le prix du kilo de sucre a grimpé à 100 dollars. Heureusement, un peu de miel conservé d’urgence a pu sauver cette vie fragile.
Un épuisement collectif
Le manque de nourriture use les corps de tous, avec une perte de poids notable. La croissance des enfants est stoppée en l’absence de lait, d’œufs ou de viande. Le système immunitaire des personnes âgées s’effondre sous le poids des maladies qui se multiplient.
Parent de quatre enfants, dont des jumeaux de trois ans, je vois ces jeunes vivre plus de la moitié de leur vie dans une guerre interminable. Ils ignorent le goût du fruit et n’ont pas bénéficié d’un repas chaud et complet depuis presque deux ans. L’occupation les torture avec une politique de faim impitoyable.
Après des mois d’absence, la joie d’une seule banane partagée fut immense pour ma fille Sarah, qui ne savait même pas que ce fruit se mangeait. Elle l’a dévorée avec sa peau, en voulant encore plus, un luxe désormais inaccessible.
Son jumeau Amr répète souvent : « Papa, je veux du poulet », souvenir lointain depuis la trêve de janvier. Impossible de lui procurer ce repas ou même de lui expliquer pourquoi, malgré nos allers-retours quotidiens à vélo avec sa liste de souhaits, souvent sans succès.
La plupart des familles gazaouies ne parviennent qu’à offrir deux repas frugaux par jour, rationnant le pain – quand il y en a – entre les membres. La faim endort souvent les enfants sans repas. En des temps plus durs, les habitants de la moitié nord du secteur broyaient les aliments pour bétail en guise de farine. Cette alternative a même disparu.
La privation a créé des images poignantes : des enfants affamés allant de maison en maison à la recherche d’un morceau de pain ou de nourriture, revenant souvent bredouilles car toutes les familles sont à bout.
Entre ironie et douleur
L’ironie du sort s’entrelace à la douleur quand les Gazaouis comparent leur poids actuel à celui d’avant-guerre. Chacun a perdu au moins 10 kilos, certains plus de 30, d’autres ont perdu la moitié de leur masse corporelle. Leur silhouette s’est transformée, et leurs vêtements amples semblent conçus pour deux personnes.
La vie est devenue étroite pour une population forcée d’affronter ce que beaucoup appellent les « pêcheries de la mort », zones dangereuses imposées par l’armée israélienne. Là, des histoires presque inimaginables se racontent. Comme celle d’un professeur de langue arabe de plus de 50 ans, contraint d’aller au nord-ouest de Gaza, espérant que l’aide humanitaire arrive près de la colonie de Zikim. Tout ce qu’il souhaite est un sac de farine.
Sa santé fragile ne lui permet pas de courir dans la foule ni de grimper vite sur les camions d’aide. Submergé par les larmes, il rêve seulement de revenir voir ses enfants avec ce sac, qu’ils n’ont pas goûté depuis des jours.
Soudain, une voix s’élève à l’arrière d’un camion : « Monsieur, monsieur, prenez ce sac ». Les larmes coulent alors davantage sur le visage assoiffé du professeur quand un de ses élèves, affamé lui aussi, s’expose aux dangers pour aller chercher ce morceau de vie, alors qu’ils devraient tous être dans leur classe.
À Gaza, les Palestiniens vivent la faim dans toutes ses dimensions, comptant les jours, non pas dans l’espoir de la fin de la guerre, mais pour espérer rester vivants jusqu’à ce moment. Survivrons-nous ? Personne ne le sait, mais il est certain qu’ils n’ont pas d’autre choix que de résister.