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La compréhension de la physiologie de l’obésité est essentielle pour son traitement efficace. Selon Acosta et al., quatre types d’obésité, basés sur des phénotypes biologiques et comportementaux, catégorisent les comportements alimentaires humains : (1) le cerveau affamé, (2) l’intestin affamé, (3) la faim émotionnelle et (4) le métabolisme lent. Certains comportements, tels que la faim émotionnelle (manger en réponse à des signaux émotionnels) et la faim externe (manger en réponse à des stimuli alimentaires extérieurs), ont été précédemment associés à la prise de poids et à la difficulté de maintenir une perte de poids.
Les agonistes GLP-1 : du diabète à l’obésité
Les agonistes des récepteurs au glucagon-like peptide-1 (GLP-1) ont d’abord été développés pour améliorer la sécrétion d’insuline chez les patients atteints de diabète de type 2. Toutefois, ces médicaments sont désormais approuvés pour traiter l’obésité grâce à leur capacité à induire une perte de poids importante et durable. Parmi eux, le Liraglutide (SaxendaⓇ), le Sémaglutide (WeGovyⓇ) et le Tirzépatide (ZepboundⓇ) sont autorisés aux États-Unis pour la perte de poids, agissant principalement sur les voies gastro-intestinales afin d’augmenter la sensation de satiété, réduire l’appétit et par conséquent diminuer l’apport calorique.
Moins d’informations sont disponibles concernant l’impact de ces agonistes sur les comportements alimentaires. Des études antérieures ont montré que le traitement par Liraglutide, comparé à l’insuline, diminue la réponse en IRMf dans les zones cérébrales liées à la récompense, à la dévaluation des stimuli et aux envies en réponse à la vue d’aliments riches en calories. Par ailleurs, un essai contrôlé randomisé mené par Blundell et al. a révélé qu’après douze semaines de Sémaglutide hebdomadaire, les patients présentaient une préférence réduite pour les aliments gras, une diminution des envies et une meilleure maîtrise globale de l’alimentation.
Objectif et méthodologie de l’étude
Cette étude évalue l’évolution perçue des comportements alimentaires des patients en réponse à différents stimuli après le début d’un traitement par agoniste des récepteurs GLP-1. L’hypothèse posée est que les comportements alimentaires rapportés par les participants deviennent plus alignés avec leurs signaux physiologiques (faim et satiété) et moins influencés par des stimuli émotionnels, situationnels et sensoriels externes après le début du traitement par agonistes GIP/GLP-1 (Sémaglutide, Liraglutide, Tirzépatide, Dulaglutide).
Conception de l’étude
Il s’agit d’une étude transversale basée sur un questionnaire en ligne comprenant 31 questions à choix multiples. Un flyer contenant un QR code a été distribué dans 33 cabinets médicaux de médecine interne, familiale et endocrinologie du Cooper University Health Care dans le sud du New Jersey, permettant aux patients de répondre au questionnaire lors de leur attente en consultation.
Contenu du questionnaire
Le questionnaire abordait quatre catégories de stimuli influençant la consommation excessive : les signaux physiologiques (faim, satiété), les stimuli sensoriels externes (proximité physique de la nourriture, publicités alimentaires, odeurs), les situations (manger seul, avec d’autres, distrait, par ennui) et les émotions (stress, émotions positives ou négatives). Les participants ont évalué leur comportement sur une échelle de 1 à 5, où 1 signifie « jamais » et 5 « toujours ».
Des informations complémentaires sur le type d’agoniste GLP-1, la durée du traitement, la perte de poids réalisée, les antécédents de diabète de type 2 ou de chirurgie bariatrique, ainsi que le degré de satisfaction vis-à-vis du médicament ont également été recueillies.
Population étudiée
101 patients sous agoniste GLP-1 supervisés par un médecin de Cooper University Health Care, avec un indice de masse corporelle (IMC) supérieur à 27 kg/m², ont participé à cette étude.
Analyse statistique et éthique
Les réponses avant et après le traitement ont été comparées par test T apparié pour mesurer la signification des différences. L’étude a été jugée non soumise à l’approbation du comité d’éthique selon les critères en vigueur, avec un consentement éclairé recueilli conformément à la déclaration d’Helsinki.
Résultats principaux
Profil des participants
Parmi les 101 participants :
- 6 utilisaient Dulaglutide (Trulicity), 13 Tirzépatide (Mounjaro), 14 Sémaglutide (WeGovy), 17 Liraglutide (Saxenda) et 48 Sémaglutide (Ozempic). Trois participants n’ont pas précisé leur traitement.
- La durée du traitement variait : 9 patients depuis moins d’un mois, 51 entre 2 et 6 mois, 38 plus de 6 mois, et 3 sans information.
- 86 n’avaient jamais subi de chirurgie bariatrique, 9 en avaient bénéficié.
- 52 ne souffraient pas de diabète de type 2, 43 en étaient atteints.
- 94 se déclaraient satisfaits de leur traitement, 7 non.
- 86 estimaient avoir perdu du poids depuis le début du traitement, 15 ne l’ont pas constaté.
Changements dans les comportements alimentaires
Les analyses ont révélé des modifications significatives dans l’alimentation perçue par les participants :
- Signaux physiologiques : Une meilleure écoute des sensations de faim et satiété, avec une réduction notable des repas au-delà du rassasiement (p < 0,001).
- Stimuli externes : Diminution importante du désir de manger près de la nourriture, en voyant des publicités ou en sentant les odeurs alimentaires (p < 0,001).
- Situations sociales : Moindre fréquence de consommation excessive liée à l’ennui, au fait de manger seul, avec d’autres, ou en étant distrait (p < 0,001).
- Émotions : Réduction significative des excès alimentaires en situation de stress, émotions positives ou négatives (p < 0,001).
Analyse et perspectives
Cette étude met en évidence une réduction des comportements alimentaires émotionnels, externes et situationnels auto-déclarés, accompagnée d’une meilleure régulation liée aux signaux physiologiques après l’initiation d’un traitement par agonistes GLP-1. La majorité des participants se sont déclarés satisfaits de leur traitement et ont perçu une perte de poids.
Les mécanismes sous-jacents à la régulation de la prise alimentaire sont multiples, incluant des facteurs génétiques, physiologiques, cognitifs, psychologiques, sociaux, culturels et environnementaux. L’amélioration des comportements alimentaires liés aux signaux physiologiques observée dans cette étude est probablement liée aux effets inhibiteurs des agonistes GLP-1 sur la motilité gastro-intestinale et leurs propriétés neuromodulatrices. En particulier, ces médicaments retardent significativement la vidange gastrique, ce qui augmente la sensation de satiété.
Les récepteurs GLP-1 sont présents dans le tronc cérébral et l’hypothalamus. La consommation alimentaire stimule la libération de GLP-1 localement par les cellules neuroendocrines L de l’intestin grêle et de manière centrale par le noyau du tractus solitaire via les afférences vagales. Ces neurones projettent vers le noyau paraventriculaire de l’hypothalamus, régulateur de l’appétit et promoteur de la satiété.
Les résultats concordent avec d’autres travaux, tels que ceux de Nicolau et al., qui ont observé une diminution significative des épisodes de faim émotionnelle, de faim externe, des crises de boulimie et des envies de sucré et salé après trois mois de traitement par Sémaglutide. Masaki et al. ont également rapporté une baisse significative de la faim émotionnelle chez des patients obèses et diabétiques traités par Sémaglutide à 3 et 6 mois.
Les études fonctionnelles en IRMf montrent que l’activation des récepteurs GLP-1 réduit la réponse cérébrale aux stimuli alimentaires dans des régions impliquées dans le traitement de la récompense, telles que l’insula, l’amygdale, le cortex orbitofrontal et le putamen. Ces données suggèrent que les agonistes GLP-1 favorisent une perte de poids significative en améliorant la régulation perçue du comportement alimentaire, avec une prédominance des signaux physiologiques sur les stimuli émotionnels et externes.
Limites et forces
Cette étude transversale ne permet pas d’établir une relation causale en raison de la nature unique de la collecte des données. Les informations sont auto-déclarées et rétrospectives, exposant à des biais de rappel, de désirabilité sociale et de conscience personnelle. L’échantillonnage dit de convenance peut biaiser la représentativité, les participants plus motivés et technologiquement équipés étant peut-être surreprésentés. L’absence de données démographiques complètes limite la généralisation des résultats.
Par ailleurs, la taille de l’échantillon (101 participants) et la réponse quasi complète aux questions renforcent la validité interne des résultats. La répartition équivalente des participants diabétiques ou non permet d’envisager une applicabilité élargie.
Perspectives futures
Des études prospectives avec groupe contrôle devraient confirmer ces observations en réduisant les biais. Il serait utile de stratifier les résultats selon le sexe, l’âge, les comorbidités, le type d’agoniste GLP-1 et la durée du traitement. Enfin, la complexité des effets de ces médicaments ouvre la voie à leur utilisation potentielle dans le traitement de troubles liés à la faim émotionnelle et à l’addiction.