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Le geste d’Emmanuel Macron, réalisé le jour du bicentenaire de l’ordonnance royale du 17 avril 1825, marque une reconnaissance historique lourde de sens. En soulignant que la décision imposant à Haïti le paiement d’une indemnité exorbitante pour son émancipation avait « placé un prix sur la liberté d’une jeune nation » et exposé celle-ci à la « force injuste de l’histoire », le président français a posé un acte symbolique fort au nom de la France.
Un passé douloureux : la dette imposée à Haïti
Proclamée indépendante le 1er janvier 1804 par le général Jean-Jacques Dessalines, la République d’Haïti a surgi des cendres de la colonie française de Saint-Domingue, suite à la victoire des insurgés contre l’expédition militaire française de 1802, venue rétablir l’esclavage. Néanmoins, cette nouvelle nation a dû s’acquitter d’une dette colossale pour indemniser les anciens planteurs esclavagistes, fixée à 150 millions de francs-or, soit environ 480 millions d’euros, réduite à 90 millions (environ 288 millions d’euros) en 1838.
Cette somme, majorée par des intérêts exorbitants, a enrichi les banques françaises et fut remboursée par Haïti jusqu’en 1953. Cette charge financière a lourdement pesé sur un pays fragilisé, grevé dès l’origine par la violence et l’héritage des structures sociales issues de l’esclavage.
Une commission mixte pour éclairer le passé commun
Pour faire face à cette histoire complexe, une commission mixte franco-haïtienne a été annoncée par Emmanuel Macron. Placée sous la codirection de l’historien et diplomate français Yves Saint-Geours et de Gusti-Klara Gaillard-Pourchet, professeure à l’université d’État d’Haïti, cette instance a pour mission d’examiner en profondeur le passé commun des deux nations.
L’objectif est de construire un récit partagé qui pourrait ouvrir la voie à « un avenir plus apaisé », étape préalable avant toute discussion sur d’éventuelles réparations.
Défis majeurs pour Haïti et la France
La tâche s’annonce ardue. Haïti, confrontée à une spirale de violences, peine à maintenir un État stable et fonctionnel, surtout dans sa capitale, Port-au-Prince. La reconstruction d’un gouvernement solide reste un défi colossal.
Du côté français, un travail de mémoire reste à accomplir. Emmanuel Macron a loué la révolution haïtienne, qu’il a qualifiée d’« en harmonie avec les idéaux de la Révolution française », qui aurait pu créer un « chemin commun » entre les deux pays. Toutefois, il a quelque peu minimisé le rôle de Napoléon Bonaparte, dont l’expédition pour restaurer l’esclavage fut un facteur déclencheur de l’indépendance haïtienne, préférant retenir la responsabilité des « forces de la contre-révolution » après 1814.
Cette vision occulte la répression sanglante de la rébellion guadeloupéenne et illustre comment, malgré les idéaux égalitaires de 1789, la France coloniale a exclu les populations coloniales de ces droits universels, sur la base de préjugés raciaux. Ces décisions continuèrent à marquer les territoires coloniaux jusqu’à la fin de l’empire français.
Un héritage lourd à porter
La dette imposée à Haïti a eu des conséquences dévastatrices dès ses débuts, précipitant un pays déjà meurtri dans une profonde ruine économique et sociale. Elle symbolise à la fois l’injustice historique de la colonisation et la persistance de ses séquelles.
Le travail de la commission franco-haïtienne pourrait constituer un premier pas vers la reconnaissance et la réparation de cette « double dette » – celle de l’esclavage et de l’indemnisation financière –, un sujet central dans la mémoire collective des deux nations.