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Delima, vendeuse dans un centre commercial huppé de Medan, quatrième ville d’Indonésie, raconte qu’elle rentrait autrefois épuisée après une journée entière debout à servir des clients. Aujourd’hui, elle dit se sentir « sans rien à faire » : les centres commerciaux sont plus calmes et de nombreux visiteurs semblent ne venir que pour regarder, tester des produits gratuits et repartir. Ce comportement illustre une tendance que les internautes décrivent désormais par les néologismes « Rohana » et « Rojali » — un signe, pour certains observateurs, d’acheteurs prudents Indonésie.
Le phénomène « Rohana » et « Rojali »
Sur les réseaux sociaux indonésiens, « Rohana » et « Rojali » désignent respectivement « ceux qui demandent seulement » et « ceux qui achètent rarement ». Ces expressions décrivent des visiteurs de centres commerciaux qui pratiquent essentiellement le lèche-vitrine. Le phénomène masque en partie des évolutions réelles des comportements d’achat, liées à la hausse des prix et à la diffusion du commerce en ligne.
Plusieurs témoins et experts estiment que ces mots‑clefs reflètent des changements concrets du pouvoir d’achat et des priorités de consommation. Ils traduisent notamment :
- une augmentation des visites sans achats effectifs dans les centres commerciaux ;
- un report d’achat vers les plateformes numériques ;
- une réorientation des dépenses vers les loisirs, les services et les activités personnelles.
Chiffres et signes d’affaiblissement de la consommation
Plusieurs groupes industriels et distributeurs majeurs ont enregistré un recul des ventes au premier semestre 2025, traduisant une demande plus faible dans certains segments.
- PT Unilever Indonesia : baisse des ventes d’environ 4,5 % au premier semestre 2025.
- PT Matahari Department Store : recul des ventes de plus de 9 %.
Pour les associations de consommateurs, ces données signalent un recul du pouvoir d’achat, en particulier au sein de la classe moyenne, traditionnel moteur de la consommation nationale.
Tensions sociales et perception de l’économie
Malgré une croissance du produit intérieur brut (+5,12 % en glissement annuel pour le trimestre avril-juin), des manifestations meurtrières fin août ont mis en lumière la frustration sociale liée aux coupes budgétaires et aux décisions jugées injustes par une partie de la population.
Les revendications portaient notamment sur :
- des réductions budgétaires dans l’éducation, les travaux publics et la santé ;
- l’adoption d’une allocation de logement mensuelle pour les parlementaires d’environ 3 000 $ — presque dix fois le salaire minimum mensuel national.
Une enquête de l’institut ISEAS-Yusof Ishak (janvier) montre aussi un pessimisme relatif chez les jeunes Indonésiens : environ 58 % d’entre eux se disent confiants dans les plans économiques du gouvernement, contre une moyenne de 75 % dans six pays de la région. Le chômage des 15‑24 ans touche près de 16 % des plus de 44 millions de jeunes, un niveau supérieur à celui de pays voisins comme la Thaïlande ou le Vietnam.
Réponses officielles et analyses d’experts
Les autorités nuancent l’interprétation du phénomène Rohana/Rojali. Le ministre en chef aux affaires économiques, Airlangga Hartarto, a déclaré que les habitudes de consommation évoluaient vers le numérique et que d’autres indicateurs restaient positifs.
Des économistes notent toutefois une image plus nuancée. Teguh Yudo Wicaksono, enseignant en économie, observe que :
- la consommation des ménages a progressé d’environ 5 % au deuxième trimestre,
- mais les ventes au détail se sont légèrement affaiblies par rapport à la période précédente.
Wicaksono suggère un découpage par segments : le pouvoir d’achat s’affaiblirait pour certains groupes, tandis que d’autres réorientent leurs dépenses vers le sport, les loisirs et les services.
Le rôle du commerce en ligne et l’évolution des comportements
La montée du commerce électronique contribue à détourner les achats des centres commerciaux. Une enquête de Snapcart, basée sur des tickets de caisse, montre que la moitié des répondants indonésiens jugent le shopping en ligne plus pratique que les achats en magasin.
Les plateformes les plus utilisées figurent en tête :
- Shopee (utilisé par 90 % des acheteurs en ligne dans l’enquête)
- Tokopedia
- Lazada
- Alfa Gift
Selon la Fondation des consommateurs indonésiens, le « digital » a transformé certains centres commerciaux en lieux davantage dédiés au loisir et au lèche‑vitrine qu’à l’achat effectif.
Portraits de consommateurs
Plusieurs témoignages illustrent la diversité des motivations derrière les visites en centre commercial. Dewi Fauna, assistante administrative, explique qu’elle fréquente désormais les centres commerciaux surtout pour les restaurants et la convivialité, tandis que ses achats se font en priorité en ligne pour des raisons de prix et de choix.
Delima, la vendeuse de Medan, constate que beaucoup de visiteurs utilisent les échantillons gratuits sans intention d’achat. Pour d’autres, la venue au centre commercial reste une sortie sociale et un moment de détente partagé avec des amis ou la famille.
- Motifs d’aller au centre commercial : socialisation, restaurants, divertissement.
- Motifs d’acheter en ligne : prix, praticité, large choix.