Home ActualitéIsraël et l’eau palestinienne : un contrôle et un conflit depuis 1948

Israël et l’eau palestinienne : un contrôle et un conflit depuis 1948

by Sara
Israël, Palestine

Depuis la proclamation de l’État d’Israël le 14 mai 1948, les autorités israéliennes ont mis en place des mesures systématiques visant à garantir le contrôle des ressources en eau palestiniennes et à restreindre l’accès des Palestiniens à l’eau potable. Ces politiques ont combiné réglementations, projets d’aménagement hydraulique, ordres militaires et destructions d’infrastructures, contribuant à une raréfaction et à une dégradation des ressources hydriques palestiniennes en Cisjordanie et à Gaza.

Les eaux dans la pensée sioniste

L’eau a occupé une place stratégique dans la pensée politique sioniste dès la fin du XIXe siècle, étayée par des récits historiques et religieux définissant des frontières vastes pour l’État à naître. Lors du premier congrès sioniste à Bâle (1897), Théodore Herzl évoquait déjà des ambitions territoriales liées aux ressources naturelles.

Au début du XXe siècle, les comités sionistes envoyèrent des experts en Palestine pour inventorier les ressources hydriques et étudier l’exploitation possible du Jourdain. En 1903 et tout au long des années 1930‑40, plusieurs projets techniques et diplomatiques furent proposés pour capter et transférer des eaux régionales, y compris des tentatives d’impliquer les puissances coloniales.

Plusieurs responsables sionistes de premier plan, dont David Ben Gourion, affirmèrent l’importance vitale d’assurer la maîtrise de rivières comme le Litani pour garantir la survie et le développement de l’État juif émergent.

Projets précoces de contrôle des eaux

Durant le mandat britannique, des initiatives et concessions furent conçues pour permettre à des acteurs sionistes de dominer l’exploitation des eaux en Palestine. Ces projets visaient à soutenir l’implantation agricole et la création d’infrastructures pour les colonies juives.

  • Projet « Rottenberg » (1927) : concession d’exploitation hydraulique à une compagnie juive, ouvrant la voie à un contrôle accru des ressources locales.
  • Projet « Ionides » (1939) : proposition de détourner une partie des eaux du Yarmouk via une canalisation jordanienne, de stocker des surplus dans la mer de Galilée et d’alimenter Jérusalem, Jaffa et Tel‑Aviv.
  • Projet « Lauder‑Milk » (1944) : plan d’exploitation du bassin du Jourdain évaluant un prélèvement annuel de 1 800 millions de m³, destiné à l’irrigation et à la production d’électricité, avec gestion confiée aux autorités juives. Ce schéma préfigura plus tard des réalisations similaires.

Contrôle des eaux après la création d’Israël

Après 1948, l’État d’Israël adopta des mesures législatives et administratives pour nationaliser et centraliser la gestion de l’eau. En août 1949, un décret de « nationalisation de l’eau » affirma que l’eau relevait du domaine public de l’État et que sa gestion était réservée aux autorités israéliennes.

La politique israélienne s’est rapidement focalisée sur la vallée du Jourdain et ses sources. Des plans d’aménagement, notamment ceux proposés par des experts étrangers, visaient à organiser l’utilisation transfrontalière du Jourdain tout en privilégiant les besoins israéliens.

Entre 1953 et 1955, le plan Johnston pour le Jourdain eut pour but d’arbitrer les usages, mais son application effective resta inégale et Israël n’a pas respecté l’ensemble des répartitions prévues pour la population palestinienne de la Cisjordanie.

Ordres militaires et mécanismes juridiques

Depuis 1967, une série d’ordres militaires israéliens a institutionnalisé le contrôle de l’eau dans les territoires occupés. Ces mesures ont conféré un pouvoir considérable aux autorités israéliennes quant à l’exploitation, l’autorisation et la répartition des ressources hydriques.

  • Ordre militaire n°1 (7 juin 1967) : considère toutes les eaux des territoires occupés comme propriété de l’État d’Israël.
  • Ordre n°92 (15 août 1967) : confie au « délégué à l’eau » israélien la pleine autorité en matière de gestion hydraulique.
  • Ordre n°58 (19 août 1967) : interdit la création d’installations hydrauliques sans licence, en laissant au délégué le droit de refuser sans justification.
  • Ordre n°158 (1er octobre 1967) : place puits, sources et projets hydrauliques sous l’autorité directe du gouverneur militaire.
  • Ordre n°291 (fin 1967) : assimile les ressources en eau aux biens de l’État selon le droit israélien.
  • Ordres n°948 et n°498 (14 novembre 1974) : imposent des autorisations strictes pour tout projet hydraulique, notamment à Gaza, et permettent à l’autorité de réduire ou d’annuler les quantités d’eau autorisées.

L’eau dans les accords et les négociations

Les accords d’Oslo reconnurent formellement certains droits hydriques palestiniens, mais renvoyèrent la question aux négociations finales. Le traitement différé du dossier a permis à Israël de maintenir des positions pratiques favorables à ses propres besoins.

Les accords de 1994 (Gaza/Arish) et d’Oslo II (1995) ont transféré certaines compétences hydrauliques à l’Autorité palestinienne et créé une Commission mixte israélo‑palestinienne. Les décisions de cette commission devaient être prises à l’unanimité, mais la mise en œuvre resta complexe.

Oslo II fixa des volumes pour plusieurs aquifères et pour Gaza, avec un total estimé pour les territoires palestiniens à environ 734 millions de m³ de ressources et une consommation autorisée moindre, laissant une large part disponible pour Israël.

Sources d’eau en Cisjordanie et à Gaza

Les Palestiniens s’approvisionnent principalement par trois sources : les précipitations, les eaux souterraines et les achats auprès de la compagnie israélienne Mekorot. Ces éléments définissent l’architecture des ressources hydriques palestiniennes.

  • Pluie : principale source pour l’agriculture, avec des variations sensibles entre régions (environ 100–600 mm en Cisjordanie, 200–900 mm à Gaza selon les zones).
  • Eaux souterraines : fournissent près de 76 % des besoins en eau ; la Cisjordanie compte trois bassins majeurs (est, nord‑est, ouest) tandis que Gaza repose sur un aquifère côtier soumis à des dégradations rapides.
  • Achat à Mekorot : selon Oslo, les Palestiniens achètent environ 22 % de leurs besoins à l’opérateur israélien.

Privation et pratiques restrictives

Les mesures administratives et opératoires ont réduit l’accès palestinien à l’eau, provoquant salinisation des nappes, baisse des rendements agricoles et dépendance accrue. Les autorités israéliennes contrôlent les autorisations de forage et limitent les volumes alloués aux puits palestiniens.

Des études et rapports palestiniens estiment qu’Israël prélève la majeure partie des ressources locales, ne laissant qu’une faible part à la population palestinienne. Les pratiques documentées incluent saisies de puits, transferts d’eau vers l’intérieur d’Israël, construction de petites retenues et restrictions administratives.

  • Plafond sur les volumes autorisés pour les pompages.
  • Interdiction ou restriction de forages nouveaux à des fins agricoles sans permis.
  • Confiscation de puits au profit de colonies.
  • Limitation de la profondeur autorisée pour les puits.
  • Transfert d’eaux de meilleure qualité vers les villes israéliennes et revente d’eau aux Palestiniens à des prix élevés.
  • Pollution délibérée ou involontaire des nappes par rejets d’eaux usées.

Pénurie et inégalités d’accès

Les données statistiques montrent des contrastes marqués : la consommation quotidienne par tête est estimée à environ 300 litres pour un Israélien et à 85 litres pour un Palestinien, chiffre inférieur à la moyenne mondiale de 120 litres. Ces écarts traduisent des inégalités d’accès aux ressources hydriques palestiniennes.

De nombreuses localités palestiniennes souffrent de coupures fréquentes d’eau. Plusieurs centaines de communautés manquent de réseaux publics et dépendent de camions‑citernes coûteux ou de captages de pluie, aggravant la vulnérabilité sociale et sanitaire.

Des appels internationaux et des organisations palestiniennes ont réclamé des enquêtes et des interventions pour contrer ce qu’elles qualifient de spoliation et pour réparer les dommages environnementaux causés par des forages et transferts non autorisés.

Destruction des infrastructures et crise humanitaire à Gaza

Les opérations militaires israéliennes en Cisjordanie et à Gaza ont souvent ciblé ou endommagé des infrastructures hydrauliques : puits, réseaux d’irrigation, réservoirs et stations d’épuration ont été détruits à plusieurs reprises. Ces destructions aggravent l’insécurité hydrique et sanitaire.

Les offensives récentes à Gaza ont entraîné des coupures prolongées et la détérioration des installations, provoquant la contamination des réserves d’eau et un accès très limité à l’eau potable pour plus de deux millions d’habitants. Les autorités et experts locaux signalent une détérioration massive des ressources et des services.

Selon des responsables du secteur à Gaza, une très grande part des sources d’eau a été détruite et le système hydraulique, déjà fragile, est aujourd’hui épuisé, ce qui expose la population à des risques de santé publique et aggrave la crise humanitaire.

Perspectives et revendications palestiniennes

Les représentants palestiniens ont formulé plusieurs revendications lors des négociations et dans les prises de position publiques : droit à la gestion et à la propriété des bassins entièrement situés en Cisjordanie, partage équitable des ressources transfrontalières et réparation des dommages causés depuis 1967.

Les positions palestiniennes mettent en avant trois principes : gestion souveraine des bassins locaux situés dans les limites politiques de la Cisjordanie, partage équitable des eaux internationales et responsabilité d’Israël pour les préjudices causés aux systèmes hydrauliques palestiniens depuis l’occupation.

La protection et la restauration des ressources hydriques palestiniennes restent des éléments centraux pour toute perspective durable de paix et de développement socio‑économique dans la région.

source:https://www.aljazeera.net/encyclopedia/2025/10/24/%d8%a5%d8%b3%d8%b1%d8%a7%d8%a6%d9%8a%d9%84-%d9%88%d9%85%d9%8a%d8%a7%d9%87-%d9%81%d9%84%d8%b3%d8%b7%d9%8a%d9%86-%d8%aa%d8%a7%d8%b1%d9%8a%d8%ae-%d8%b7%d9%88%d9%8a%d9%84-%d9%85%d9%86

You may also like

Leave a Comment