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La Coopérative de Presse de Marseille : un modèle coopératif innovant

par Sara
France

Face à la baisse continue des ventes de journaux, la Coopérative de presse et de messagerie méditerranéenne (CPMM) innove en diversifiant ses activités. Elle assure désormais la livraison de produits pharmaceutiques, de librairie et de papeterie, en complément de la distribution de la presse.

Une crise soudaine et une réponse collective

En mai 2020, la liquidation de Presstalis, principal acteur de l’acheminement de la presse française, a plongé le secteur dans une profonde confusion. La Société d’agences et de diffusion (SAD), filiale marseillaise, a été fermée du jour au lendemain. Maxime Picard, ancien représentant CGT devenu PDG de la CPMM, se souvient : « On était en plein déconfinement. Le lundi, la direction nous annonce que le mardi, on passe au tribunal de commerce. Le vendredi, la boîte est liquidée ».

Cette rupture brutale a provoqué une coupure totale de la distribution de la presse nationale et régionale dans la région, un véritable « choc démocratique » pour Maxime Picard, d’autant que le second tour des élections municipales approchait. Pendant quatre mois, la distribution a été interrompue, avant une reprise partielle en septembre. Face à cette crise sociale, d’anciens salariés ont décidé de créer une structure alternative pour reprendre l’activité.

Un système de distribution en mutation

La distribution de la presse en France repose sur la loi Bichet de 1947, garantissant l’égalité d’accès à la presse sur tout le territoire. Mais la chute des ventes papier et la fermeture de nombreux points de vente ont fragilisé ce modèle. En 2022, on comptait environ 20 200 marchands de journaux, contre plus de 25 000 en 2011.

Le système de diffusion est désormais assuré par deux grandes messageries nationales : France Messagerie, née de la liquidation de Presstalis et gérée par la Coopérative de distribution des quotidiens (CDQ) pour la presse quotidienne nationale, et les Messageries Lyonnaises de Presse (MLP) pour la presse magazine.

Ces messageries collaborent avec des dépositaires régionaux comme la CPMM, chargée de distribuer les titres nationaux et locaux dans 480 points situés dans la Métropole Aix-Marseille Provence et l’ouest du Var.

Monter un projet collectif autour d’une Scic

Face à l’urgence de préserver l’emploi et le réseau de distribution, les anciens salariés ont opté pour le modèle de la Société coopérative d’intérêt collectif (Scic). Ce statut permet d’associer salariés, collectivités et clients comme les éditeurs.

Serge Guintoli, directeur de l’UR SCOP PACA-Corse, précise : « Au départ, ils avaient entendu parler du statut, mais ne savaient pas exactement comment l’utiliser. Il a fallu le concrétiser et les accompagner sur l’ingénierie juridique, le montage financier et la représentation auprès des institutions ».

En février 2021, sept mois après la liquidation, la Scic a été créée. Plusieurs collectivités locales des Bouches-du-Rhône, dont Martigues, Port-de-Bouc et Miramas, sont rapidement entrées au capital, aux côtés du journal La Marseillaise, actionnaire et cliente. Léo Purguette, directeur de la publication, souligne : « On nous a demandé si nous étions prêts à entrer au capital, symboliquement, pour crédibiliser la coopérative ».

Ce journal, passé en Scic depuis 2018, a également invité ses lecteurs, « les Amis de la Marseillaise », à devenir sociétaires pour impliquer les usagers finaux.

Une gouvernance transparente et participative

Contrairement à Presstalis, les décisions ne sont plus dictées depuis Paris. La CPMM mise sur une gestion collective et transparente. Maxime Picard explique : « On a mis en place des “agoras” régulières pour impliquer les salariés dans les décisions. Les grilles de salaires ont été votées et sont connues de tous ».

Cette dynamique s’exprime aussi sur le terrain : « Ces salariés qui ont repris leurs affaires en main sont tout aussi performants, voire plus, que les acteurs privés avec qui nous travaillons sur d’autres zones », observe Léo Purguette.

Depuis sa création, la CPMM a stabilisé son chiffre d’affaires autour de 7 millions d’euros, malgré une perte annuelle de 500 000 euros liée à la baisse de la presse. L’effectif est passé de 60 personnes en 2021 à 69 aujourd’hui. Toutefois, après un pic de 1 million d’euros de bénéfices en 2021, l’entreprise a essuyé une perte de 112 000 euros en 2023, dans un contexte économique difficile.

Vers un modèle économique durable

Les ventes au numéro ont drastiquement chuté : -86 % pour les quotidiens nationaux et -79 % pour les magazines entre 2000 et 2022. Selon un rapport de l’Inspection générale des Finances (IGF), elles devraient encore diminuer de 62 % d’ici 2030. La CPMM a intégré ces prévisions dans sa stratégie en diversifiant son offre.

Obligée de maintenir la même tournée nocturne pour la presse, la coopérative doit faire face à une baisse des volumes transportés. Maxime Picard précise : « On livre toujours autant de points de presse, mais avec moins de titres et donc moins de marchandises dans les camions ».

Face à cette contrainte, la CPMM a choisi de mutualiser les livraisons en ajoutant d’autres types de produits. « On s’est rapprochés d’un acteur du secteur pharmaceutique, parce qu’on s’est rendu compte que là où on livrait des journaux, il y avait souvent des pharmacies à proximité », explique le PDG.

Grâce à ce partenariat avec un grossiste pharmaceutique, la coopérative transporte désormais des médicaments et produits pour 35 pharmacies, ainsi que des livres et fournitures de bureau. Cette diversification augmente les revenus tout en réduisant le nombre de camions sur la route.

« Nos tournées nous imposent une rigueur. Pour le client, c’est l’assurance que les produits arrivent avant l’ouverture. On prouve que la distribution de la presse peut être un levier pour d’autres activités économiques tout en restant fidèle à notre mission d’intérêt général », détaille Maxime Picard.

Maintenir l’accès à l’information dans les zones désertées

La CPMM lutte également contre les « zones blanches » de l’information, notamment dans certains quartiers de Marseille où l’accès à un point de vente était très éloigné. Maxime Picard souligne : « Il fallait parfois marcher vingt minutes pour acheter un journal ou un magazine. Ce n’est pas comme ça qu’on va développer l’information ».

Deux kiosques ont été créés à Marseille, à la Plaine et à la Joliette, gérés directement par des salariés de la coopérative. « L’idée n’est pas de reproduire ce modèle partout, mais de garantir un accès à la presse là où il n’y a plus d’offre ». Le statut de salarié offre d’ailleurs des avantages sociaux non négligeables dans ce métier souvent difficile.

Une vision pour l’avenir de la distribution de la presse

Le rapport de l’Inspection générale des Finances propose plusieurs scénarios pour le futur. L’un d’eux envisage de reconnaître la distribution de la presse quotidienne comme une mission d’intérêt général, une idée proche de la philosophie de la Scic.

Le modèle coopératif de la CPMM repose sur une gouvernance partagée entre salariés, éditeurs et collectivités locales, visant à garantir l’accès à l’information tout en assurant la rentabilité. En intégrant cette vocation d’intérêt public, l’État pourrait soutenir un réseau de distribution structuré autour d’acteurs comme la CPMM, qui revendique une logique de service public.

Le rapport explore également l’optimisation du financement des éditeurs à l’ère du numérique et une restructuration logistique pour mutualiser les coûts avec la presse régionale, afin de préserver un secteur en crise permanente.

source:https://www.alternatives-economiques.fr/distribution-de-presse-joue-carte-modele-cooperatif-a-marseille/00114647

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