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La presse privée au Sénégal fait face à une crise sans précédent, exacerbée par des tensions politiques et des difficultés financières. Des employés, comme Damy Kampatibe, directeur technique d’Emedia, doivent composer avec des mois de salaires impayés, tandis que des décisions gouvernementales mettent en péril la survie de nombreux médias.
Une réalité difficile pour les médias privés
Damy Kampatibe, qui n’a pas reçu son salaire depuis onze mois, évoque des « négociations sans fin » pour le loyer de son domicile. Sa situation est d’autant plus préoccupante qu’il est père de trois enfants, dont l’aînée a dû abandonner son projet de master. Pourtant, il reste plein d’entrain, en se réjouissant de l’arrivée de Laye, l’un de ses meilleurs réalisateurs, dans les locaux d’Emedia, groupe qu’il a contribué à créer en 2018.
Emedia, qui a déménagé dans des locaux plus petits à Dakar en octobre 2024, vit une période critique, notamment après l’arrivée au pouvoir en avril 2024 du parti des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef). Cette transition politique a coïncidé avec une suspension des conventions publicitaires avec les agences publiques, provoquant un manque à gagner crucial pour les médias.
Des financements en chute libre
Alassane Samba Diop, directeur général d’Emedia, exprime son désespoir face à l’arrêt brutal des financements, qui représentaient plus de 70 % de leurs revenus. Cette situation a entraîné une hémorragie de personnel, ne laissant qu’une trentaine de passionnés au sein de l’entreprise. La pression fiscale a également augmenté, aggravant la situation des médias déjà fragilisés.
Le nouveau président Bassirou Diomaye Faye et le Premier ministre Ousmane Sonko ont mis fin à un effacement de la dette fiscale précédemment négocié avec l’ex-président Macky Sall, qualifiant ces impayés de « détournements de fonds publics ».
La bipolarisation des médias
La crise préélectorale entre 2021 et 2024 a accentué la dichotomie au sein des médias. Certains d’entre eux, favorables à Macky Sall, ont bénéficié de l’aide du palais, tandis que d’autres, comme Sud Quotidien, s’efforcent de maintenir une ligne neutre. La directrice de publication, Henriette Niang Kande, souligne que cette neutralité est souvent perçue comme un manque de soutien envers les nouvelles autorités.
Le 23 juillet, un appel de fonds a été lancé pour sauver Sud Quotidien, qui pourrait arrêter sa parution. Henriette prêche un optimisme prudent, affirmant que « ce pays n’a jamais été un pays de silence, il ne le sera jamais ».
La volonté d’éradiquer la presse privée
Mamadou Ibra Kane, président du Conseil des diffuseurs et éditeurs de presse au Sénégal, déclare qu’il existe une volonté politique d’« exterminer la presse privée ». Cette situation est accentuée par le non-versement du Fonds d’appui et de développement de la presse (FADP) depuis 2024, pourtant crucial pour le secteur. Bien que le fonds soit prévu pour être augmenté de près de 50 % en 2025, le ministère de la Communication justifie la suspension des contrats publicitaires par le besoin de transparence et l’évitement de favoritisme.
Un climat hostile pour le journalisme
Dans un climat économique déjà difficile, le Groupe futurs médias (GFM) fondé par Youssou N’Dour fait face à des restrictions, avec un personnel en nombre réduit. Souleymane Niang, directeur de l’information, évoque des craintes quant à « l’hostilité ambiante contre la presse » et la frilosité des annonceurs privés.
Ousmane Sonko, ciblant les médias lors d’un meeting, a promis de « les combattre jusqu’au bout », exacerbant les tensions. Cette hostilité atteint son paroxysme avec l’arrestation de Badara Gadiaga, chroniqueur du GFM, pour « diffusion de fausses nouvelles ».
Les défis de la société civile
Alioune Tine, figure de la société civile, met en garde contre une tendance à l’autoritarisme croissant au Sénégal, où la presse, la justice et les acteurs sociaux sont considérés comme des ennemis du pouvoir. La polarisation croissante entre « eux » et « nous » souligne les dangers qui menacent les fondements mêmes de la démocratie sénégalaise.