Le dimanche 10 août 2025, une petite tente installée devant le complexe médical Al-Shifa à Gaza a été réduite en cendres à la suite d’une attaque ciblée. Cinq journalistes y ont perdu la vie, leurs noms résonnant bien au-delà d’une simple carte de presse : ils incarnaient la voix et l’image de la vérité dans un territoire assiégé.
Parmi les victimes figuraient les correspondants d’Al Jazeera Anas Al-Sharif et Mohammed Qariqaa, ainsi que les photographes Ibrahim Daher, Moamen Alwea et Mohammed Nofal. Ce moment tragique a révélé l’ampleur des dangers auxquels sont confrontés les journalistes opérant dans la bande de Gaza, et le prix élevé payé pour que la vérité puisse être dite.
Le moment où le reportage s’est arrêté
- Le groupe de journalistes documentait les souffrances quotidiennes autour du plus grand hôpital de Gaza lorsque l’explosion a frappé soudainement, laissant un sifflement bref suivi d’un silence lourd.
- Des images ayant fuité montrent des gilets bleus couverts de poussière et de sang, tandis que les caméras posées au sol témoignent du drame silencieux.
- Le journaliste de terrain Bassam Al-Agha a déclaré : « Nous savions que les bombardements approchaient, mais nous ne pensions pas que notre tente serait touchée. »
- Le photographe Salem Abu Saqr a ajouté : « Nous avons entendu l’explosion, puis un nuage épais de poussière a tout recouvert. Je cherchais la caméra tombée des mains de Moamen Alwea. »
- Dr. Mohammed Abu Salmiya, directeur du complexe Al-Shifa, a indiqué que l’attaque avait causé d’autres victimes dans la cour de l’hôpital, rendant l’accès difficile en raison des combats persistants.
Dans une maison modeste, la mère d’Anas Al-Sharif serre une photo de son fils et confie d’une voix brisée : « Il partait chaque matin sans savoir s’il reviendrait… Mais je savais qu’il reviendrait avec une nouvelle pour la vérité. »
De leur côté, les frères de Mohammed Qariqaa racontent leur dernier échange téléphonique, une trentaine de minutes avant l’attaque, quand il les a rassurés : « Ne vous inquiétez pas, nous sommes près de l’hôpital. » Quelques minutes ont suffi pour transformer l’hôpital en scène de tragédie.
Lors d’obsèques rassemblant foule et émotion, les cercueils d’Anas Al-Sharif, Mohammed Qariqaa et de leurs collègues ont été portés dans les rues de Gaza. Des banderoles proclamaient : « Ils ont tué la parole, mais l’image demeure », tandis que les participants réclamaient justice pour ce crime. Les caméras tachées de sang ouvraient la marche, symbolisant la voix qui n’a pas pu être réduite au silence.
Les derniers mots d’Anas Al-Sharif
- Peu avant sa mort, Anas avait écrit sur les réseaux sociaux : « Dieu sait que j’ai tout donné pour être un soutien et une voix pour mon peuple. Je n’ai jamais hésité à transmettre la vérité, sans falsification ni déformation. »
- Il a fait une ultime recommandation pour la Palestine, qu’il appelait « la perle des musulmans et le cœur battant de toute liberté dans le monde ». Il a évoqué les enfants opprimés, dont les corps ont été écrasés sous des tonnes de bombes et de roquettes israéliennes, dispersés contre les murs.
- En s’adressant aux défenseurs de la liberté, il a lancé : « Ne laissez pas les chaînes vous réduire au silence, ne laissez pas les frontières vous confiner, soyez des ponts pour libérer terres et peuples, jusqu’à ce que le soleil de la dignité et de la liberté se lève sur notre terre volée. »
- Enfin, il a recommandé ses proches et a conclu sa volonté, acceptant le destin avec foi et affirmant que son sang serait une lumière guidant son peuple vers la liberté.
Ses mots ne sont pas simplement une dernière volonté, mais un témoignage humain et professionnel, illustrant le combat d’un reporter qui a affronté le siège, la famine et les bombardements pour rester la fenêtre ouverte sur Gaza.
Le droit international face à l’épreuve de la conscience
- Les spécialistes du droit international rappellent que l’attaque contre des journalistes en zones de conflit constitue une violation claire des Conventions de Genève et de leurs protocoles additionnels.
- Ces textes protègent explicitement les journalistes en tant que civils, à condition qu’ils ne participent pas directement aux hostilités.
- Selon Samer Al-Dahdouh, avocat palestinien spécialisé, « la simple présence d’un journaliste dans une zone de guerre n’annule pas sa protection juridique ». Toute prétendue justification doit être étayée par des enquêtes indépendantes, sans quoi elle devient un prétexte au meurtre.
- Bien que l’armée israélienne ait affirmé viser un « chef de cellule » du Hamas déguisé en journaliste, avec des « documents » à l’appui, des organisations internationales exigent la preuve de ces allégations dans une enquête impartiale.
- Les Nations unies dénoncent toute attaque contre des journalistes civils comme une violation flagrante du droit international.
- Ravina Shamdasani, porte-parole du Haut-Commissariat aux droits de l’homme à Genève fin 2023, a souligné que viser des journalistes est non seulement un crime contre des individus mais également une atteinte directe au droit du public à l’information.
- Le droit international humanitaire impose aux belligérants de prendre toutes précautions pour éviter de frapper les civils, y compris les journalistes, même dans les zones de combat actives.
Condamnation des crimes de l’occupation
- Le réseau Al Jazeera a qualifié cette attaque d’« assassinat prémédité » et d’« attaque planifiée contre la liberté de la presse ».
- Le cheikh Mohammed ben Abdulrahman Al Thani, Premier ministre et ministre des Affaires étrangères du Qatar, a déclaré que la cible délibérée des journalistes ne fait pas taire les atrocités systématiques commises par Israël à Gaza.
- Dans un message publié sur la plateforme X (ex-Twitter), il a affirmé que ces attaques démontrent au monde entier que les crimes perpétrés à Gaza dépassent toute imagination, en dépit de l’impuissance de la communauté internationale et de ses lois à mettre fin à cette tragédie.
- Le directeur général d’Al Jazeera, cheikh Hamad ben Thamer Al Thani, avait déjà dénoncé en février 2025 ces attaques durant le 16e forum d’Al Jazeera, soulignant que les journalistes ne doivent jamais être pris pour cible ou accusés de terrorisme lorsque qu’ils accomplissent leur mission.
- Il a rappelé que la chaîne a subi des attaques directes, incluant la mort de ses correspondants et la fermeture de ses bureaux, dans une tentative d’étouffer sa voix.
- Pourtant, il a assuré que les sacrifices de ses reporters n’étaient pas vains, puisque la vérité qu’ils ont révélée a suscité une solidarité mondiale envers les Palestiniens victimes des massacres.
- Il a réaffirmé l’engagement d’Al Jazeera à poursuivre la transmission honnête et professionnelle de la vérité, malgré les pressions et les dangers.
La peur qui ne fait pas taire la parole
- Après la mort d’Anas Al-Sharif et de ses collègues, les journalistes de Gaza vivent entre le poids du chagrin et celui de la peur.
- Nombre d’entre eux commencent leur journée en écrivant des messages d’adieu à leurs familles, anticipant la possibilité de ne pas revenir.
- Cependant, ils restent déterminés à rester sur le terrain pour rapporter la vérité.
- Cette détermination, défiant quotidiennement le danger, représente une résistance parallèle à la lutte armée, mais au moyen des mots et des images.
- Dans les bureaux d’Al Jazeera à Doha et Gaza, les photos des martyrs côtoient leurs caméras ensanglantées, envoyant un message silencieux que cette profession ne disparaît pas avec ses héros.
La mort de l’équipe d’Al Jazeera à Gaza n’est pas seulement une perte professionnelle, mais une blessure ouverte dans la conscience humaine. Elle rappelle l’assassinat de Shireen Abu Aqleh et d’autres, soulignant que l’impunité alimente la répétition de tels crimes.
Le combat mené par Anas et ses compagnons est devenu un héritage pour chaque journaliste et être humain libre : maintenir la vérité vivante, malgré les balles qui veulent la faire taire.
Dans un monde fier de ses conventions protégeant les journalistes, une question persistante demeure : quelle valeur ont ces conventions si un journaliste est tué sous le regard de sa caméra, sans que justice ne soit rendue ?