Le 19 décembre dernier, l’Égypte a déclaré la fin des négociations avec l’Éthiopie concernant le barrage de la Renaissance en raison des tergiversations de cette dernière. Elle a également affirmé son droit, garanti par les traités internationaux, de défendre sa sécurité hydrique et nationale en cas de préjudice.
Face à cette crise, les interrogations se multiplient sur les choix de l’Égypte, surtout après l’échec des négociations qui ont duré 12 ans. L’option de négociation n’étant plus viable et l’Éthiopie ayant rejeté le recours à l’arbitrage ou à la justice internationale, l’option militaire est extrêmement délicate. En effet, une frappe militaire risquerait de submerger plusieurs villes soudanaises, avec des effets dévastateurs sur le Soudan et sur l’Égypte également.
Le dernier accord avec la République de Somalie peut être interprété dans le cadre de la tentative éthiopienne de concurrencer la domination égyptienne en mer Rouge, après l’affrontement dans le bassin du Nil via le barrage de la Renaissance.
Cependant, le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a peut-être involontairement offert à l’Égypte la possibilité de l’encerclement et de la pression dans son environnement régional à travers les pays voisins, notamment ceux de la Corne de l’Afrique, regroupant l’Éthiopie, la Somalie, l’Érythrée et Djibouti, ainsi que le Soudan, le sud du Soudan et le Kenya.
La réticence égyptienne vis-à-vis de l’accord découle de plusieurs considérations : l’échec des négociations sur le barrage de la Renaissance, attribué à la politique dilatoire éthiopienne dans le processus de négociation, et la doctrine du « fait accompli ». Il est alors logique que Le Caire refuse tout accord conclu par l’Éthiopie après l’échec de ces pourparlers, en plus du fait que ce dernier accord pourrait permettre à Addis-Abeba de s’affirmer en mer Rouge, une zone que l’Égypte considère comme faisant partie intégrante de sa sécurité nationale, et comme un lac arabe exploité lors de la guerre de 1973 contre Entité sioniste, lorsque les navires transportant du pétrole iranien à destination d’Eilat ont été empêchés d’y accéder.
Dans ce contexte, la réaction « violente » du Caire à cet accord peut être comprise, en particulier lors de la récente visite du président somalien, où le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi a déclaré que « l’Égypte ne permettra aucune menace contre la Somalie ou sa sécurité, et que l’accord entre l’Éthiopie et la Somalie est rejeté par tous… La Somalie, en tant que membre de la Ligue arabe, a le droit de bénéficier d’un soutien défensif dans le cadre de la charte de l’organisation. Personne ne doit essayer de confronter l’Égypte ».
L’Égypte se retrouve face à une opportunité historique pour tenter de former une alliance régionale sous son leadership, comprenant les pays voisins de l’Éthiopie, en profitant du mécontentement général face à cet accord et aux pratiques d’Abiy Ahmed, surtout après sa quasi-domination politique après les élections de 2021, et son passage d’une politique « sans problèmes » en 2018 à une politique de troubles avec ses voisins en cherchant à imposer la domination éthiopienne dans la région.
Par conséquent, le premier pas de l’Égypte dans cette optique pourrait être la fissuration de l’alliance qu’elle a formée en 2018 avec la Somalie et l’Érythrée pour atteindre la sécurité, la stabilité régionale et promouvoir le développement économique.
La Somalie cherche maintenant à prouver sa souveraineté sur l’ensemble de son territoire, refusant toute reconnaissance d’un accord avec la République de Somalie. Outre le rejet de l’accord et l’escalade contre l’Éthiopie, elle a cherché des alliés contre Addis-Abeba, se rendant d’abord à Asmara le 12 janvier, suivie par une visite au Caire le 21 janvier.
Il en va de même pour l’Érythrée, qui estime que cet accord nuira non seulement à ses ports utilisés par l’Éthiopie pour l’exportation, mais aussi à ses intérêts économiques, redoutant également qu’Abiy Ahmed tente de s’emparer à nouveau du port d’Assab, dans le cadre de ses aspirations expansionnistes.
L’Égypte peut exploiter ces développements pour tenter de former une telle alliance avec la Somalie et l’Érythrée. La récente visite du président somalien au Caire, ainsi que le soutien égyptien à la Somalie, de même que la visite du ministre égyptien des Affaires étrangères Sameh Choukry à Asmara après la fin de la visite du président somalien, ainsi que ses déclarations selon lesquelles l’Éthiopie « est devenue une source de perturbation dans son environnement régional », indiquent la possibilité d’un rapprochement entre les trois pays contre la domination éthiopienne.
Cette alliance proposée peut s’étendre pour inclure Djibouti, l’un des principaux pays affectés par l’accord éthiopien avec la République de Somalie, pour deux raisons. D’abord, il est intervenu seulement deux jours après l’accord conclu entre la Somalie et la République de Somalie qui stipule la reprise des négociations politiques entre les deux parties, en mettant l’accent sur les questions décisives « séparation ou unité ». Cela signifie la destruction des efforts diplomatiques de Djibouti, anéantissant l’idée de négociations. Deuxièmement, cet accord pourrait porter préjudice aux intérêts économiques de Djibouti, puisque 95% du commerce extérieur éthiopien transite par son territoire. En contrepartie, il perçoit des frais s’élevant entre un milliard et deux milliards de dollars. Ainsi, Djibouti se rend compte qu’Abiy Ahmed cherche d’autres débouchés que le sien. L’Égypte vise depuis un certain temps à resserrer ses liens avec Djibouti, le président égyptien Sissi étant le premier président égyptien à s’y rendre en mai 2021.
Le Soudan, qui a connu des tensions avec Addis-Abeba, en particulier avec le soutien de cette dernière à Hamdok face à Al-Burhan et aux forces armées, peut également se joindre à cette alliance. Quant au sixième pays proposé, il s’agit du Soudan du Sud voisine de l’Éthiopie, où Sissi a également été le premier président égyptien à s’y rendre en 2020, confirmant la profondeur des relations entre les deux pays. L’Égypte cherche à convaincre le Soudan du Sud de ne pas adhérer à l’accord-cadre du bassin du Nil « CANTIBI », surtout après les déclarations du ministre soudanais de l’Eau et des Ressources en eau le 22 mars 2013, selon lesquelles « son pays ne reconnaît pas l’accord de 1959 et qu’il a rejoint l’initiative du bassin du Nil, étant « CANTIBI ».