Léviathan à l’Odéon : justice expéditive et comparution immédiate en France

Cette œuvre dramatique plonge au cœur d’un système judiciaire expéditif et questionne la logique même de la justice pénale en France. Qui sanctionne-t-on et pour quelles raisons ? Pourquoi le système peine-t-il à susciter un vrai sentiment de justice parmi les citoyens ?

Une immersion dans la comparution immédiate

La comparution immédiate est une procédure judiciaire simplifiée visant à juger rapidement un prévenu dès sa sortie de garde à vue. Lorraine de Sagazan et Guillaume Poix mettent en lumière cette justice expéditive où le prévenu, souvent en situation de grande précarité, est confronté uniquement à l’accusation portée par un représentant de l’État, sans jamais rencontrer sa victime.

Extrait dramatique :

La Présidente : Vous auriez également menacé de brûler la Tour Eiffel ?
Le SDF : Je ne me souviens pas de ça.
La Présidente : Vous avez conscience que c’est une menace terroriste gravissime ?
Le SDF : Je ne saurais même pas comment faire pour brûler la Tour Eiffel, comment m’y prendre, comment on fait pour brûler autant de tonnes d’acier ?
La Présidente : C’est ce que prétendent tous les terroristes.
Le SDF : Je ne suis pas un terroriste.

Les délits jugés sont parfois mineurs, mais la procédure reste rigide : ce n’est pas la gravité de la blessure causée qui prime, mais bien l’infraction à la loi.

Un système judiciaire rapide mais inégal

Lors d’un entretien avec Raphaëlle Tchamitchian, Lorraine de Sagazan explique :

« Il n’y a pas de justice dans un tribunal de comparution immédiate : c’est la phrase la plus entendue auprès des avocats que j’ai rencontrés. Cette procédure, qui vise à juger rapidement un auteur présumé, dure environ vingt minutes, parfois moins, comme à Marseille où certains procès n’ont duré que six minutes. L’enquête menée ne dépasse pas quinze minutes, alors que la peine encourue peut aller jusqu’à 20 ans d’emprisonnement. »

Ce procédé, né dans le contexte de la répression des insurrections populaires, vise à contrôler et surveiller les individus les plus marginalisés, créant un clivage entre les classes populaires. Le tribunal de comparution immédiate apparaît comme une justice de classe où les prévenus, souvent sans domicile ni papiers, sont stigmatisés et rapidement condamnés.

Une expérience artistique et politique

Loin d’une simple reconstitution documentaire, Léviathan propose une expérience plastique et sensible. Lorraine de Sagazan précise :

« J’ai cherché à créer une œuvre fidèle à l’essence de la comparution immédiate sans être purement documentaire. Il s’agit d’un acte performatif et transformatif, abolitionniste, qui invite à une expérience collective dans un temps dissous et conscientisé. Dans une société ultra-libérale marquée par le délitement du service public et la répression, qui peut encore revendiquer le droit au temps partagé ? »

Jouée sous un chapiteau qui déplace l’idée même du tribunal, la pièce interroge la figure du Léviathan, symbole philosophique de la violence légitime et de sa régulation, tout en questionnant : qui est vraiment le monstre ?

Distribution et équipe artistique

• Conception et mise en scène : Lorraine de Sagazan
• Texte : Guillaume Poix
• Dramaturgie : Agathe Charnet, Julien Vella
• Assistanat à la mise en scène : Antoine Hirel
• Scénographie : Anouk Maugein, assistée de Valentine Lê

Inspiré de faits réels, le spectacle réunit :

• Khallaf Baraho (le témoin)
• Jeanne Favre (l’avocate du « SDF », la « voleuse »)
• Felipe Fonseca Nobre (le « régleur », l’avocat de l’association Le Cœur Tranquille)
• Jisca Kalvanda (la mère du « régleur », l’avocate de la policière et de la « voleuse »)
• Antonin Meyer-Esquerré (le procureur)
• Mathieu Perotto (un avocat, le « SDF »)
• Victoria Quesnel (la présidente du tribunal)
• Eric Verdin (l’avocat du « régleur », le directeur de l’association Le Cœur Tranquille, le surveillant pénitentiaire)
• et le cheval Oasis