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Un texte qui a marqué l’histoire. La famille du général de Gaulle remet à l’État ce jeudi 12 juin le manuscrit du brouillon de son appel du 18 juin 1940, prononcé pour exhorter les Français à résister à l’Allemagne nazie. Rédigé à la main sur deux feuillets A4 jaunis, ce brouillon historique contient des mots passés à la postérité : « La France n’est pas seule ».
Un manuscrit historique conservé précieusement
Conservé depuis la Seconde Guerre mondiale dans un coffre-fort familial à Chaumont, fief des De Gaulle, ce texte avait « été confié par le général dès le 19 juin à sa femme Yvonne, qui lui a demandé après guerre de l’authentifier d’un autoparaphe », raconte Frédéric Harnisch, directeur du département Livres et Manuscrits chez Artcurial, la maison d’enchères qui s’est occupée de la vente de la succession du fils aîné du général, l’amiral Philippe de Gaulle.
Ce manuscrit unique est accompagné d’une carte de visite signée Yvonne de Gaulle, sur laquelle elle rapporte les mots de son mari : « Il m’a dit : “conservez précieusement ce manuscrit. Si je réussis, il fera partie du patrimoine de nos enfants.” » Il s’agit de « la seule trace tangible de l’appel radiodiffusé du 18 juin », poursuit Frédéric Harnisch. Aucun enregistrement sonore n’a survécu – les disques étaient réutilisés à l’époque – et seules quelques lignes traduites par les services de renseignement suisses témoignent de son contenu.
Formulations et hésitations
Sur ces feuilles se dévoile « un texte travaillé, raturé, mûrement réfléchi », décrit Frédéric Fogacci, directeur des études à la Fondation Charles de Gaulle. « Dans ces corrections, on lit les hésitations d’un homme confronté à un moment d’incertitude absolue ». Mi-juin 1940, la France sombre en effet dans le chaos : l’armée allemande entre dans Paris, des millions de civils fuient, et Charles de Gaulle est démis de ses fonctions de sous-secrétaire d’État à la guerre. Exilé à Londres, le général refuse la défaite.
Le 17 juin, alors que le maréchal Pétain annonce vouloir négocier un armistice avec l’Allemagne, il sollicite Winston Churchill pour s’exprimer à la BBC. L’objectif ? Redonner espoir au peuple français, quitte à se mettre hors la loi aux yeux de l’armée. « Face à lui, une partie du gouvernement britannique juge dangereux de provoquer le gouvernement de Vichy », explique Frédéric Fogacci, rappelant que le Royaume-Uni craignait encore de se couper définitivement de la France comme alliée.
Une analyse des échecs militaires
Le général obtient néanmoins l’autorisation de s’exprimer sur les ondes et rédige à la main le brouillon de son « appel » dans un bureau à Seymour Place (aujourd’hui Curzon Street, à l’est de Hyde Park à Londres). Certaines formules jugées trop incriminantes, comme celle accusant Vichy d’avoir « sollicité l’ennemi » afin de connaître « ses conditions », sont rayées, censurées par les autorités anglaises, comme en témoigne le texte remis à l’État ce jeudi.
Sur les feuilles jaunies, Charles de Gaulle fait également une analyse de l’échec militaire français, expliquant que la supériorité « des chars, les avions, la tactique des Allemands » leur ont donné la victoire. « Il invoque la “force mécanique”, soit la nécessaire modernisation de l’armée française, un message qu’il n’a cessé de défendre avant l’éclatement du conflit », précise Frédéric Harnisch.
De son porte-plume, le général trace également un cadre pour la poursuite de la lutte, posant les bases des Forces Françaises Libres, et prédit pour la première fois l’évolution de la situation vers une « guerre mondiale ». « Ce manuscrit est l’illustration du passage de l’homme militaire à l’homme politique », ajoute Frédéric Fogacci.
Le moment historique de l’appel
L’après-midi du 18 juin 1940, sa secrétaire d’Élisabeth de Miribel tape la version finale du texte à la machine. Le général l’enregistre à 18 heures. L’appel est annoncé dans le programme de la BBC à 20 h 15, et diffusé à 22 heures. S’il devient par la suite le symbole de la Résistance, peu de Français l’écoutent le jour même.
L’allocution sera remaniée en des termes beaucoup plus durs envers Vichy lors de l’appel du 22 juin 1940, jour de l’Armistice, puis pour la version filmée le 2 juillet suivant. Une synthèse de ces discours sera regroupée sur une affiche, souvent improprement appelée « Appel du 18 juin », et placardée dans une rue de Londres au début du mois d’août 1940.