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La politique des poignées de main au Kenya : un compromis illusoire
La poignée de main est une tradition respectée de la politique kenyane. Elle symbolise l’union d’ennemis apparemment irréconciliables dans un accord pour partager les bénéfices plutôt que de se battre pour eux. Ces accords ont toujours été négociés en secret entre un parti détenant le pouvoir étatique et un rival revendiquant une légitimité populaire. Ils ont servi de stratagème pour les élites politiques afin de freiner l’élan populaire vers tout changement menaçant de renverser le système de castes politiques rigide du pays.
Un héritage colonial
Ce phénomène est un héritage du colonialisme britannique. Les premières poignées de main ont été distribuées à l’aube de la domination coloniale, alors que les Britanniques cooptèrent des potentats locaux et des prétendants en tant qu’officiels coloniaux, leur offrant l’opportunité de « manger » tout en trahissant leur peuple. Juste avant d’accorder l’indépendance au Kenya en 1963, les Britanniques ont exécuté une autre poignée de main, cette fois avec Jomo Kenyatta, qu’ils avaient accusé de mener la rébellion Mau Mau et emprisonné pendant sept ans. Malgré leurs accusations, ils ont néanmoins conclu un accord avec lui pour faciliter son accession au pouvoir en échange d’une promesse de les laisser garder les terres qu’ils avaient volées.
La tactique de la poignée de main
Dans les années suivant l’indépendance, la poignée de main est devenue la tactique privilégiée pour gérer la contestation élitiste pour le pouvoir ainsi que la dissidence populaire. Sa praticité cynique – comme l’a souligné le journaliste vétéran Charles Obbo – est paradoxalement responsable de la fois où elle a empêché le Kenya de réussir, tout en empêchant le pays de sombrer dans la violence et l’anarchie. La poignée de main qui a mis fin à la violence post-électorale en 2008 en est un grand exemple. Elle a stoppé une conflagration déclenchée par un litige sur l’élection présidentielle qui avait coûté plus de 1 300 vies et déplacé des centaines d’autres. Cependant, elle a également laissé le pays avec un régime dont la première priorité fut d’instituer un faux régime de subvention au maïs qui a enrichi les politiciens de tous bords et laissé un tiers de la nation affamé.
Raila Odinga et les poignées de main
Un des deux protagonistes de cet épisode était Raila Odinga, probablement le praticien le plus prolifique de la politique des poignées de main. Figure d’opposition permanente n’ayant jamais officiellement remporté une élection présidentielle – il a été un candidat controversé perdant dans cinq des six dernières élections, dont certaines lui ont été volées – il a néanmoins réussi à conclure un accord de partage du pouvoir avec chacun des quatre derniers présidents du Kenya.
Des accords pour le pouvoir
Ces accords ont toujours été présentés comme étant dans l’intérêt national, mais en réalité, ils lui ont permis de tirer parti de sa popularité pour accéder aux ressources. En 2000, il a serré la main de l’ancien dictateur Daniel Arap Moi, ce que beaucoup dans le mouvement de réforme qui plaidait pour une nouvelle constitution ont vu comme une trahison. Sa poignée de main de 2008 a eu lieu avec le successeur de Moi, Mwai Kibaki. Une décennie plus tard, en 2018, après une nouvelle violence suite à une élection contestée, il était à nouveau [avec le président sortant Uhuru Kenyatta](/opinions/2019/11/30/kenyas-bbi-is-the-political-elites-attempt-to-rewrite-history).
Le dernier accord
Il y a deux semaines, des nouvelles d’une autre poignée de main ont émergé, cette fois sous la forme d’un mémorandum d’entente (MoU) entre le parti de Raila, le Mouvement Démocratique Orange (ODM), et l’Alliance Démocratique Unie (UDA) du président actuel William Ruto. Cet accord présente des aspects intéressants.
- Tout d’abord, Ruto, alors vice-président, avait été la principale victime de l’accord de 2018. À l’époque, il était largement perçu que Kenyatta préparait le terrain pour installer Raila comme son successeur en échange d’un calme durant son second mandat.
- Deuxièmement, tout comme Kenyatta avant lui, Ruto avait en 2023 rejeté une poignée de main avec Raila, qui avait mené des manifestations hebdomadaires pour faire valoir que l’élection lui avait encore une fois été volée.
- Ce n’est que l’année dernière, suite à des manifestations menées par des jeunes, que Ruto a cédé, intégrant des membres de l’ODM dans son gouvernement élargi tout en soutenant la candidature de Raila à la présidence de la Commission de l’Union Africaine.
Un appel à l’unité ou une manœuvre de survie ?
Une fois de plus, l’accord est présenté comme une réponse aux défis nationaux plutôt qu’une mesure de préservation personnelle. Odinga a affirmé qu’un coup militaire était imminent s’il ne signait pas – ce qui a été vivement démenti par le ministère de la Défense – et a insinué que c’était une opportunité de mettre en œuvre le rapport du Comité de Dialogue National.
Ce rapport, compilé suite aux protestations de la Génération Z, illustre comment les politiciens utilisent les poignées de main pour s’enrichir tout en sapant les causes populaires. Il n’a pas réussi à traiter les problèmes soulevés par les manifestants et a, comme les rapports précédents, proposé une série de nouveaux postes publics bien rémunérés pour les politiciens – y compris ceux de premier ministre et de leader de l’opposition – en guise de panacée aux problèmes politiques du pays.
Un avenir incertain
Il est peu probable que cette poignée de main procure à Ruto la légitimité qu’il désire. La crédibilité de Raila en tant que leader de l’opposition a été érodée par ces accommodements répétés, celui de 2018 étant le plus dommageable. Aujourd’hui, il semble moins être le puissant homme politique d’antan et plus un vieil homme désespéré de profiter une dernière fois. Le véritable pouvoir politique a été transféré à une nouvelle génération qui a bruyamment rejeté la politique des poignées de main, et ils se préparent à un nouveau combat.