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Après cinq années de démarches juridiques complexes, le retour du tambour parleur en Côte d’Ivoire est enfin sur le point de se concrétiser. Depuis sa réclamation officielle en 2019, la France a dû adopter une loi d’exception, votée à l’unanimité le 7 juillet 2025, pour permettre ce transfert. Ce processus, longtemps retardé par des turbulences politiques, devrait aboutir dans les semaines à venir. Pour les Bidjans d’Adjamé, gardiens historiques de ce trésor culturel, ce retour soulève des enjeux mémoriels et politiques, révélant un mélange de fierté et d’incertitude.
Souvenirs d’un traumatisme
Adjamé, bien que située à proximité du Plateau, le quartier institutionnel d’Abidjan, se distingue par ses rues étroites et chaotiques, abritant l’un des plus grands marchés d’Afrique de l’Ouest. Anciennement un village, Adjamé était le centre des sept villages Bidjans, selon Chérubin Moudé, responsable du protocole à la chefferie. Ce peuple, membre du groupe Atchan, joue un rôle central dans l’histoire de la capitale économique ivoirienne.
Le Djidji Ayôkwé, le tambour parleur, servait autrefois à alerter la communauté des dangers et à transmettre des ordres. Sa spoliation par les forces coloniales françaises en 1916 est perçue comme une atteinte à la résistance Bidjan. Selon Jacques O’Koumbo, secrétaire général de la chefferie, plus de 250 personnes ont perdu la vie lors de cette offensive nocturne. « Depuis, nous transmettons cette histoire de génération en génération », ajoute-t-il.
Un symbole à l’épreuve du temps
Plus de cent ans plus tard, le retour du tambour est également marqué par les souvenirs des descendants des Bidjans. La culture orale a certes limité la transmission de l’histoire. Assis dans un maquis, des villageois discutent en ce début août, témoignant d’un sentiment partagé. Pacôme évoque son arrière-grand-père, qui parlait du tambour et des violences de la colonisation. « Pour moi, le retour m’importe peu », déclare-t-il, soulignant une déconnexion avec le passé pour les plus jeunes.
Jacques O’Koumbo rappelle que la lutte pour le retour du tambour n’a jamais cessé depuis 1916. Des démarches avaient été entreprises auprès de Félix Houphouët-Boigny dans les années 1950. Lors d’une cérémonie en 2022, l’optimisme était palpable, mais l’absence de nouvelles a terni cet enthousiasme. Aujourd’hui, les Bidjans attendent avec impatience son transfert, espérant célébrer un retour longtemps désiré.
Chérubin Moudé prépare déjà le protocole pour le jour tant attendu, avec des danses guerrières et des chants en langue Atchan. Cependant, la question de l’utilisation du tambour lors des festivités reste délicate, car seuls les initiés étaient autorisés à le toucher.
Derrière le retour, un enjeu politique
Le lieu où le tambour était conservé n’existe plus, remplacé par une église et une école. Cela soulève la question de son exposition future. Jacques O’Koumbo estime qu’il aurait été naturel que le tambour revienne à Adjamé, mais il semble que l’exposition au musée des civilisations de Côte d’Ivoire soit la seule option viable. Ce retour est perçu comme une victoire par les autorités ivoiriennes, bien que des négociations soient en cours pour garantir un accès privilégié au tambour pour les Bidjans.
Le retour du tambour parleur pourrait également avoir des implications politiques. Si cela se concrétise avant l’élection présidentielle du 25 octobre, cela pourrait servir d’argument pour le camp présidentiel. Ce symbole revigoré pourrait aider à apaiser certaines tensions, notamment après une campagne de déguerpissements dans le village d’Adjamé. Les habitants, malgré l’attente du tambour, continuent de ressentir un mécontentement face à la situation actuelle.