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Réunion diplomatique Chine-Pakistan-Afghanistan pour stabiliser la région

by Sara
Réunion diplomatique Chine-Pakistan-Afghanistan pour stabiliser la région
Chine, Pakistan, Afghanistan, Inde

Dans un développement diplomatique significatif reflétant l’intérêt régional croissant pour la question afghane, la capitale chinoise, Pékin, a accueilli une réunion tripartite réunissant les ministres des Affaires étrangères d’Afghanistan, Amir Khan Muttaqi, de Chine, Wang Yi, et du Pakistan, Mohammad Ishaq Dar.

La rencontre a porté sur plusieurs dossiers aux dimensions sécuritaires et économiques, dans un contexte régional marqué par des tensions, notamment à la suite de l’escalade récente entre l’Inde et le Pakistan.

Ce sommet illustre la volonté de Pékin de jouer un rôle central dans la réorganisation des équilibres dans son voisinage instable et d’ouvrir de nouvelles voies de coordination entre Kaboul et Islamabad sous son égide.

Ministres des Affaires étrangères de Chine, Pakistan et Afghanistan à Pékin, 21 mai 2025

Contexte et calendrier politique de la réunion

Le sommet tripartite s’est tenu dans un contexte politique particulièrement sensible, précédé par des évolutions notables sur la scène régionale indiquant un changement d’attitudes de certaines puissances régionales envers le gouvernement taliban.

  • La BBC a révélé une visite secrète d’Ibrahim Sadr, vice-ministre de l’Intérieur du gouvernement taliban et proche du chef du mouvement Hebatullah Akhundzada, en Inde, soulevant des questions sur les implications politiques de ce déplacement.
  • Peu après, le ministre indien des Affaires étrangères, Subrahmanyam Jaishankar, a eu un rare entretien téléphonique avec son homologue taliban, Amir Khan Muttaqi, marquant un changement inattendu dans la politique de New Delhi envers Kaboul, malgré l’absence de reconnaissance officielle du régime taliban.
  • Lors de cet appel, Jaishankar a exprimé l’appréciation de l’Inde pour la condamnation talibane d’une attaque dans la région de Bahrgalam et a évoqué la possibilité d’étendre la coopération bilatérale, démontrant une volonté de repositionnement de l’Inde en Afghanistan après une période de prudence.

Cette ouverture indienne a suscité l’inquiétude de Pékin et d’Islamabad, qui ont rapidement organisé cette réunion tripartite pour contenir cette dynamique et protéger leurs intérêts respectifs.

Selon l’écrivain pakistanais Nusrat Javed, la Chine et l’Inde cherchent à approfondir leurs relations avec les talibans mais avec des objectifs divergents : Pékin ambitionne d’intégrer Kaboul dans sa vision économique et sécuritaire à travers l’initiative « la Ceinture et la Route », tandis que New Delhi entend exploiter son lien avec les talibans pour exercer une pression stratégique sur le Pakistan, notamment par le biais d’activités déstabilisatrices menées par des groupes de moudjahidines à l’intérieur du territoire pakistanais.

Ce sommet peut ainsi être perçu non seulement comme un forum de dialogue sur la sécurité régionale, mais aussi comme un volet caché d’une lutte d’influence en Afghanistan, dans laquelle la Chine et le Pakistan cherchent à consolider leur présence et à empêcher leurs rivaux de combler le vide géopolitique laissé par le retrait américain.

Le ministre indien des Affaires étrangères Subrahmanyam Jaishankar lors d'une conférence de presse à Berlin le 23 mai 2025

La Chine : ambitions économiques et poids politique

Bien que Pékin n’ait pas reconnu officiellement le gouvernement taliban, il adopte une approche pragmatique face à la nouvelle réalité à Kaboul, conciliant inquiétudes sécuritaires et intérêts économiques stratégiques.

  • Depuis la prise de pouvoir des talibans en août 2021, la Chine maintient des canaux de communication ouverts, allant jusqu’à accepter un ambassadeur pour le gouvernement intérimaire afghan, motivée par le risque que l’Afghanistan devienne un refuge pour des groupes séparatistes susceptibles d’affecter la stabilité de la région autonome chinoise du Xinjiang, majoritairement musulmane.
  • Outre ces préoccupations sécuritaires, les ressources minérales afghanes – lithium, cuivre, or – représentent un attrait majeur pour les investissements chinois, alors que le géant asiatique cherche à sécuriser ses approvisionnements en matières premières nécessaires à ses industries avancées.
  • La Chine considère aussi l’Afghanistan comme un maillon géographique clé dans son projet « la Ceinture et la Route », susceptible de le relier au corridor économique Chine-Pakistan (CPEC) et aux pays d’Asie centrale.
  • Elle encourage le soutien aux infrastructures et le renforcement des réseaux régionaux de transport et d’énergie traversant le territoire afghan.
  • Selon Nusrat Javed, la Chine souhaite connecter l’Afghanistan aux États d’Asie centrale via le port pakistanais de Gwadar, qui deviendrait ainsi le terminus d’un vaste corridor commercial s’étendant de Turkménistan, Ouzbékistan à Tadjikistan.

Le Pakistan : un partenaire aux relations complexes

Acteur clé de la question afghane, le Pakistan traverse une période tendue dans ses rapports avec le gouvernement taliban.

  • Malgré des liens historiques, les différends sécuritaires se sont accentués, notamment en raison des attaques croissantes du mouvement « Taliban pakistanais » contre les forces pakistanaises.
  • Cette tension a poussé Islamabad à adopter des positions plus franches envers Kaboul, incluant des accusations publiques de négligence dans la coopération sécuritaire.
  • Le sommet tripartite s’inscrit dans une volonté de réajuster ces relations et de renforcer la coordination sécuritaire.

Pour l’expert politique et économique afghan Mazammil Shinwari, cette rencontre traduit des dimensions politiques et sécuritaires : le Pakistan cherche à reconquérir une influence traditionnelle sur les talibans, tandis que la Chine veut obtenir des garanties sur le non-usage du territoire afghan par des groupes hostiles à ses intérêts.

Selon des sources pakistanaises, la délégation pakistanaise a insisté pour activer un mécanisme tripartite de surveillance frontalière, limiter les activités des groupes armés transfrontaliers, et promouvoir l’intégration de l’Afghanistan dans le projet du corridor économique Chine-Pakistan, garant de la sécurité pakistanaise et du rétablissement régional.

L’Afghanistan : quête de reconnaissance et intérêts stratégiques

Pour le gouvernement taliban, la participation au sommet à Pékin dépasse un simple exercice diplomatique : elle fait partie d’une stratégie plus large visant à briser l’isolement international et obtenir une reconnaissance régionale offrant un appui politique et économique indispensable.

  • Face aux sanctions occidentales et au gel des avoirs financiers, les talibans cherchent à bâtir des ponts de confiance avec les pays clés de leur environnement, notamment la Chine et le Pakistan.
  • Amir Khan Muttaqi a affirmé lors de la rencontre son engagement en matière de sécurité et sa volonté de s’impliquer dans des projets régionaux majeurs, particulièrement le corridor économique Chine-Pakistan.

Rencontre d’Amir Khan Muttaqi avec le ministre chinois des Affaires étrangères

Gestion des tensions et limitation de l’influence indienne

Dans le contexte d’une escalade persistante entre Kaboul et Islamabad, marquée par des accusations croisées de soutien à des groupes armés transfrontaliers, la Chine s’impose comme un médiateur prudent visant à éviter une confrontation ouverte susceptible de déstabiliser la région.

En organisant ce sommet, Pékin a envoyé un signal clair qu’elle ne se limite pas à un rôle économique mais souhaite aussi réajuster le climat politique entre ses deux voisins, conformément à une vision d’une plus grande implication dans la gestion des équilibres régionaux.

Un analyste pakistanais proche des cercles décisionnels d’Islamabad souligne que la Chine, en tant que voisine directe tant du Pakistan que de l’Afghanistan, observe avec inquiétude le climat de méfiance entre eux et travaille à rapprocher leurs positions pour renforcer la stabilité régionale, essentielle à ses intérêts stratégiques.

Ce rendez-vous tripartite est perçu comme le début d’une nouvelle ère d’ouverture entre Kaboul et Islamabad, visant à activer des mécanismes sécuritaires conjoints et des projets économiques mutuellement bénéfiques.

Carte du Pakistan

Entre Pékin et New Delhi : les calculs complexes de la Chine

Malgré la compréhension de la Chine envers le besoin des talibans d’élargir leurs relations internationales, une éventuelle rapprochement entre Kaboul et New Delhi suscite des inquiétudes.

Le renforcement des liens entre l’Inde et l’Afghanistan, illustré par le récent échange téléphonique entre leurs ministres des Affaires étrangères, est perçu par Pékin comme un effort indien pour se repositionner en Afghanistan, ce qui menace les équilibres régionaux et le projet « la Ceinture et la Route », notamment le corridor économique Chine-Pakistan traversant des zones sensibles au Cachemire et à la frontière afghane.

La Chine agit donc avec prudence, cherchant à intégrer les talibans dans un cercle d’influence aligné sur ses intérêts et ceux du Pakistan, limitant les marges de manœuvre de Kaboul afin de garantir la sécurité et le développement sans compromettre ses alliances stratégiques.

Sécurité régionale et défis communs

Les déclarations des officiels des trois pays montrent que la sécurité a été au cœur des échanges.

  • Face à la montée des craintes qu’Afghanistan devienne un refuge pour des groupes armés transfrontaliers, notamment « Daech-Khorasan » et le mouvement des talibans pakistanais.
  • La Chine, préoccupée par l’impact sur la stabilité du Xinjiang, considère la paix en Afghanistan comme intrinsèque à sa sécurité intérieure.
  • Le Pakistan perçoit les attaques lancées depuis le territoire afghan comme une menace directe à son ordre intérieur.

Amir Khan Muttaqi a cherché à apaiser ces inquiétudes, garantissant que le territoire afghan ne sera pas utilisé contre ses voisins et confirmant l’engagement des talibans dans une politique de non-ingérence.

Il est probable que les discussions aient abordé le renforcement de la coopération sécuritaire, à travers le partage d’informations et la mise en place de canaux de communication permanents entre Pékin, Kaboul et Islamabad, comme l’a laissé entendre la tonalité prudente du communiqué final.

Économie : l’Afghanistan au seuil de la Ceinture et de la Route

Le volet économique des discussions a révélé l’ambition de la Chine et du Pakistan d’intégrer progressivement l’Afghanistan au corridor économique Chine-Pakistan (CPEC), un élément phare de l’initiative « la Ceinture et la Route ».

Cette intégration ouvre pour Kaboul de nouvelles perspectives d’accès à des réseaux régionaux de transport et d’énergie, et promet des gains économiques significatifs dans un contexte de raréfaction des ressources et des investissements occidentaux.

Muttaqi a désigné la Chine comme « un des partenaires économiques majeurs de l’Afghanistan », soulignant la volonté de son gouvernement de renforcer les liens bilatéraux.

Le vice-porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Zia Ahmad Takal, a indiqué que Wang Yi s’est engagé à faciliter les importations afghanes et à soutenir le pays économiquement et politiquement sur le long terme.

L’expert économique Mazammil Shinwari note que la Chine mène actuellement deux grands projets en Afghanistan : l’exploitation pétrolière dans le Nord, et un projet cuivre dans la région d’Aynak, avec un intérêt croissant pour le lithium, métal stratégique du futur.

Par l’intégration de Kaboul au CPEC, Pékin espère rediriger une part importante du commerce annuel afghan, estimé entre 8 et 10 milliards de dollars, vers le port de Gwadar sous contrôle chinois au Balouchistan pakistanais.

Le porte-parole taliban a réitéré que la Chine est prête à soutenir le développement économique afghan dès que les conditions politiques et sécuritaires seront réunies.

Il ressort donc que la stratégie chinoise ne se limite pas à une simple coopération économique, mais vise à intégrer cette dernière dans un cadre global mêlant sécurité, politique et intérêts stratégiques, sans compromettre ses équilibres délicats avec le Pakistan.

Perspectives et complexités à venir

Le sommet de Pékin semble poser les fondations pour un nouveau tournant régional, mêlant sécurité, économie et politique.

Sur le plan sécuritaire, il est porteur de signaux positifs quant à une meilleure coordination pour le contrôle des frontières et la lutte contre les groupes armés, ce qui pourrait réduire l’instabilité et offrir à l’Afghanistan l’opportunité de réorganiser ses priorités.

L’intégration des talibans au corridor économique Chine-Pakistan constitue un succès politique pour le Pakistan, comme l’a souligné Naseer Ahmad Andisheh, ambassadeur afghan auprès des Nations Unies à Genève, qui souligne aussi l’efficience du rôle chinois pour inciter les talibans à coopérer contre les talibans pakistanais armés.

Sur le plan économique, ce partenariat tripartite devrait soulager les pressions sur l’économie afghane via des projets d’infrastructures et des facilités commerciales et d’investissement. Il incarne l’ambition chinoise d’affirmer son rôle de garant régional de la stabilité.

Cependant, cette alliance suscite la crainte d’une intensification de la rivalité Pékin-New Delhi, l’Inde surveillant prudemment tout rapprochement entre Chine et talibans susceptible d’affaiblir son influence en Asie centrale et du Sud.

Dans ce contexte, l’ancien Premier ministre afghan et chef du parti islamique, Gulbuddin Hekmatyar, a mis en garde via un tweet sur la plateforme X que l’intégration des talibans au corridor économique Chine-Pakistan pourrait déclencher une réaction adverse des États-Unis, de l’Inde et de l’Iran, soulignant la contradiction avec les attentes américaines qui anticipaient un refus taliban de coopérer avec leurs rivaux.

Le succès final de ce sommet dépendra de la capacité des parties à transformer leurs accords en actions concrètes, et de la volonté de Kaboul et Islamabad de dépasser leurs différends passés, sous une médiation chinoise pragmatique mêlant calculs d’influence et intérêts partagés.

source:https://www.aljazeera.net/politics/2025/5/26/%d8%a7%d8%ac%d8%aa%d9%85%d8%a7%d8%b9-%d8%a8%d9%83%d9%8a%d9%86-%d8%a7%d9%84%d8%ab%d9%84%d8%a7%d8%ab%d9%8a-%d8%a3%d8%a8%d8%b9%d8%a7%d8%af-%d8%a7%d8%b3%d8%aa%d8%b1%d8%a7%d8%aa%d9%8a%d8%ac%d9%8a%d8%a9

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