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Un récit inédit d’un leader taliban
Dans un moment exceptionnel de l’histoire des Taliban, Khalid Zadran, cadre au sein du mouvement, choisit de raconter son parcours non pas avec une arme, mais avec des mots. Son livre intitulé « 15 minutes » offre un récit rare de son expérience en tant que combattant au sein du mouvement durant plus de vingt ans. Il dépasse ainsi le discours traditionnel de l’organisation pour incarner un courant nouveau, explorant les transformations internes du groupe.
Khalid Zadran, actuellement porte-parole de la police de Kaboul, est le premier responsable taliban à documenter personnellement son expérience du combat et de l’organisation. Il commence son récit par un tournant majeur : la capture du soldat américain Bowe Bergdahl en 2009, événement qui a profondément modifié les relations entre les Taliban et les États-Unis.
Une narration sincère et afghane
Dans un entretien avec Al Jazeera, Zadran déclare : « J’ai tenté de transmettre mon expérience au lecteur afghan avec honnêteté et fidélité. Nous avons traversé de longues guerres, et nos dirigeants les ont rarement documentées. Souvent, notre histoire a été racontée à travers les yeux des autres, mais moi, j’ai voulu relater ce que j’ai vécu avec un regard afghan, même si cela comporte quelques erreurs. La guerre impose ses conditions, et personne n’échappe à ses conséquences. »
La capture de Bergdahl : un moment décisif
Le titre du livre, « 15 minutes », fait référence à l’intervalle entre le transfert du soldat américain Bergdahl vers un nouveau centre de détention et une frappe américaine ciblée sur le véhicule censé le transporter. Zadran explique :
- « Si l’opération avait été retardée de quelques minutes, Bergdahl serait mort,
- les négociations de Doha n’auraient pas eu lieu,
- l’échange des cinq dirigeants talibans détenus à Guantanamo n’aurait pas pu se faire,
- et nous ne serions probablement pas revenus au pouvoir par la négociation, mais par une option militaire sanglante. »
Il dévoile des détails inédits sur l’opération de capture et les conditions de détention dans la région de Shawal au Waziristan. Il raconte aussi comment Bergdahl s’est enfui de la maison où il était retenu, s’est caché dans les montagnes pendant neuf jours avant d’être de nouveau capturé.
Durant sa captivité, Bergdahl portait parfois des vêtements féminins pour se camoufler, a demandé à apprendre la langue pachtoune et à lire des livres sur l’islam. Il souhaitait également rester en contact avec sa compagne, Monica Lee, lui demandant de l’attendre.
Une rupture avec le discours taliban traditionnel
Ce qui distingue l’expérience de Zadran, c’est qu’il dépasse le langage guerrier habituel des Taliban. Il emploie des expressions telles que « armée nationale » et « drapeau national » en référence à l’ancienne administration afghane, et qualifie l’émir Amanullah Khan, célèbre pour sa lutte contre le colonialisme britannique, de « prince conquérant » — des termes inhabituels dans la rhétorique talibane.
Zadran, qui n’a pas fréquenté d’école religieuse traditionnelle, a rejoint les Taliban adolescent. Il a commencé comme aide sur le terrain, puis est devenu combattant avant de prendre des responsabilités. Son livre révèle un courant pragmatique au sein du mouvement, cherchant à offrir une image plus modérée et réaliste sans renier les principes fondamentaux des Taliban.
Le récit met en lumière le sentiment d’exclusion des combattants talibans de la province de Paktika, proche de la frontière pakistanaise, qui ont capturé Bergdahl mais n’ont pas été consultés lors de l’échange négocié par le Qatar en 2014. Zadran raconte : « Nous avons capturé le soldat américain et l’avons gardé des années, mais au moment de l’échange, les détails ne nous ont pas été communiqués. La décision venait du leadership, et l’exécution s’est faite sans notre participation, ce qui a laissé un sentiment d’abandon. »
Un document interne révélateur
Le livre « 15 minutes » est considéré comme un document interne qui révèle les transformations idéologiques et les conflits organisationnels au sein des Taliban. À travers son expérience, Zadran offre un miroir de la réalité complexe du mouvement, partagé entre une jeunesse aspirant à s’ouvrir à la société et à l’État, et une faction traditionnelle ancrée dans le passé.
L’ancien sous-ministre de l’Éducation, Lotfullah Khairkhwah, souligne : « Khalid Zadran, en tant que premier combattant à documenter son expérience avec objectivité, représente une avancée importante dans la littérature talibane. Il a traité l’histoire et la géographie avec précision, ouvrant la voie à d’autres pour qu’ils documentent leurs vécus et les transmettent aux générations futures. »
Des observateurs estiment que ce livre ne se limite pas à des mémoires de combattant, mais constitue une nouvelle narration enrichissant la littérature sur la guerre et la paix en Afghanistan. Il ouvre la voie à une compréhension plus profonde des dynamiques internes des Taliban, notamment dans le contexte de leur retour au pouvoir. Ce témoignage marque une première étape vers une documentation élargie, susceptible de transformer la perception du mouvement de l’intérieur, au-delà des récits extérieurs.