Table of Contents
Sarojini Naidu : une voix qui a changé l’Afrique du Sud
Il y a cent ans, le 28 février 1924, une femme de couleur mesurant 1,47 m prononçait un discours au Wanderers Hall de Johannesburg. Malgré sa présence dans le fief du rugby et du cricket en province du Transvaal, elle tourna en dérision les Britanniques, écrit l’historien Goolam Vahed, pour avoir pensé qu’« ils étaient les ‘maîtres’ et les Indiens les ‘sous-fifres’. » Elle parodiait l’attitude britannique en ces termes : « Nous conquérons, nous gouvernons, nous piétinons, nous faisons des cimetières là où il y avait des jardins, nous régnons d’un talon de fer, nous brandissons l’épée et éblouissons les yeux de ceux qui voudraient nous regarder en face. »
Un message d’avertissement
Et elle termina par un avertissement. Si les Britanniques croyait avoir « enchaîné et piétiné » les Indiens, c’était « leur illusion. En fin de compte, la terre revient des conquis aux véritables héritiers. » Sarojini Naidu, la politicienne-poétesse indienne de 45 ans, était arrivée à Johannesburg quelques jours plus tôt, par le Kenya et le Mozambique. Elle était venue protester contre le Class Areas Bill du premier ministre Jan Smuts, qui proposait « une ségrégation résidentielle et commerciale obligatoire pour les Indiens dans toute l’Afrique du Sud. »
Une voix puissante et engagée
Étiquetée comme le Rossignol de l’Inde par son mentor et champion, Mahatma Gandhi, les mots sortaient effectivement de la bouche de Naidu tout au long d’un séjour de deux mois, où elle s’adressa à des salles comble dans toutes les grandes villes d’Afrique du Sud. Mais tous ceux qui l’entendaient ne trouvaient pas ses paroles mélodieuses. Malgré sa couleur de peau dans une terre d’hommes blancs, Naidu s’exprimait librement. Ses idées sur la race, l’empire et les femmes étaient en avance sur leur temps.
Appel à l’unité des indiens du Sud africain
Alors qu’elle était véhémente dans sa critique du projet de loi, Naidu soulignait la nécessité pour les Indiens sud-africains de s’opposer à toute législation discriminatoire, comme l’a montré l’historien Goolam Vahed. La lutte en Afrique du Sud, disait-elle, « n’était qu’un incident dans l’ensemble de la lutte qui se déroule… Les peuples opprimés du monde sont liés par la fraternité de la souffrance et du martyre. »
Un message pour les femmes indiennes
À Durban, quelques semaines après avoir tenté de mimer les Britanniques dans son discours à Johannesburg, Naidu s’adressa directement aux femmes indiennes : « Je n’espère jamais entendre une femme indienne dire : ‘Je suis différente des femmes blanches, des femmes colorées, des femmes autochtones’. Je me fiche de votre religion, vous êtes des femmes, et les femmes étaient destinées à diriger la terre. Quand les femmes le feront, le monde deviendra meilleur. Ne pensez pas seulement à vous-mêmes, mais luttez pour vos droits parce que vous êtes des femmes. »
La réaction des Sud-Africains blancs
À son départ, de nombreux Sud-Africains blancs étaient heureux de voir Naidu partir. Le Cape Times l’accusait de « semer le désordre » et le Natal Advertiser soutenait que sa visite avait conduit à « une résurgence d’agressivité dans le tempérament asiatique ». Mais cent ans après sa visite, son impact dramatique sur la population noire du pays – et en particulier sur ses femmes – reste indéniable.
Une nouvelle ère pour la politique des femmes
Avant la visite de Naidu, la politique d’opposition était répartie selon des lignes raciales et presque exclusivement masculine. Après son passage, les femmes prirent un rôle de premier plan dans la politique d’opposition et des personnes de différentes races commencèrent à collaborer dans leur lutte contre le gouvernement minoritaire blanc. Comme l’a écrit le missionnaire anglican CF Andrews, un proche ami de Gandhi, « La visite de Naidu a fait une chose pour laquelle je la bénis chaque jour. Elle a finalement cimenté la cause des natifs avec celle des Indiens comme une seule cause. »
L’héritage de Naidu et l’impact sur Cissie Gool
Son influence sur Cissie Gool, une jeune femme musulmane de Cape Town, était particulièrement importante. Selon les historiens Patricia van der Spuy et Lindsay Clowes, « Ce que Naidu faisait – et ce qu’elle disait aux femmes de faire – était essentiel. La visite de Sarojini Naidu révèle un moment ‘ampoule’ pour Cissie Gool, la réalisation que les femmes pouvaient habiter la citadelle de la politique ‘masculine’, que le genre ne devait pas étouffer leurs ambitions politiques. »
Gandhi et la connexion entre l’Inde et l’Afrique du Sud
Au cours de ses 180 premières années, l’Afrique du Sud coloniale dépendait fortement de la main-d’œuvre esclave importée. L’abolition de l’esclavage en 1834 a contraint les agriculteurs à chercher ailleurs des travailleurs non qualifiés. À partir de 1860, plus de 150 000 Indiens sous contrat sont arrivés en Afrique du Sud, principalement pour travailler dans les plantations de canne à sucre. Ces travailleurs sous contrat ont été maltraités, mal payés et n’ont reçu aucun droit politique, mais environ deux tiers d’entre eux se sont installés en Afrique du Sud après l’expiration de leurs contrats.
La rencontre entre Gandhi et Naidu
Un jeune avocat indien, Mohandas (“Mahatma”) Gandhi, est arrivé en Afrique du Sud en 1893 pour traiter une affaire pour un riche commerçant indien. Il a connu une transformation radicale au cours de ses années en Afrique du Sud, devenant un fervent anti-impérialiste et un soutien à l’unité noire. Son association avec Naidu a également influencé sa politique et son approche des droits civiques.
Les actions de Naidu et son retour en Inde
Sarojini Naidu est rentrée en Inde en mai 1924, devenant l’année suivante la première femme présidente du Congrès national indien. En 1930, elle persuade Gandhi de permettre aux femmes de participer au Salt Satyagraha (Marche du Sel), un acte de désobéissance civile non violente. Après l’indépendance de l’Inde en 1947, Naidu fut nommée gouverneure des Provinces Unies, un poste qu’elle occupa jusqu’à sa mort en mars 1949.
Un héritage vivant
À son départ d’Afrique du Sud en 1924, Naidu fit un discours d’adieu émouvant, déclarant : « Mon corps retourne en Inde mais cette partie de moi qui vous appartient demeure avec vous, votre don et possession inaliénable. » Cet héritage vit dans l’engagement de femmes comme Cissie Gool, qui a suivi les traces de Naidu, s’élevant par la suite pour faire entendre la voix des femmes dans la politique sud-africaine.