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À peine sortie du tribunal qui l’a condamnée à une amende pour « désobéissance à la police », Irina Kourisseva est retournée inspecter de nouvelles destructions dans un parc national de la banlieue de Moscou, où les autorités envisagent de construire une autoroute traversant la forêt.
À Koroliov, près de Moscou, un projet d’autoroute au cœur du parc national
Pour désengorger Koroliov, ville de 200 000 habitants au nord-est de Moscou, les autorités ont décidé de tracer une nouvelle route qui emprunterait une portion du parc national Lossinyï Ostrov. Le projet, destiné à desservir un futur complexe immobilier, suscite une vive opposition locale et nationale parmi les défenseurs de l’environnement.
Le projet et l’atteinte au parc
Lossinyï Ostrov, « l’île des élans », couvre 129 km² de forêt. Ce refuge abrite quelque 280 espèces d’animaux — cerfs, élans, sangliers, renards — et plus de 160 espèces d’oiseaux, dont des espèces menacées. La loi russe interdit la construction dans les parcs nationaux, mais les autorités présentent le tracé comme la « réparation » d’une route existante afin de contourner cette interdiction.
« C’est une falsification et une escroquerie. Il n’y a jamais eu de route là-bas », s’insurge Dmitri Trounine, avocat défenseur de l’environnement depuis plus de 25 ans. Selon les opposants, il s’agit en réalité d’un chemin de terre utilisé ponctuellement par les gardes forestiers, qui se transforme ensuite en simple sentier entre les arbres. Irina Kourisseva affirme que « de la poudre d’asphalte » a été déchargée sur ce sentier « pour montrer ensuite qu’il y avait déjà une route ».
Coût, calendrier et justification officielle
Le ministère régional des Transports indique que l’autoroute doit être construite d’ici mars 2026 pour un montant de 497 millions de roubles, soit 5,4 millions d’euros. Les autorités présentent le projet comme une mesure de fluidification du trafic pour les milliers d’habitants travaillant à Moscou et subissant quotidiennement des embouteillages.
Actions des militants et procédure judiciaire
Fin juillet, Irina Kourisseva, 62 ans, et cinq autres militants se sont interposés face à un engin qui déchargeait de l’asphalte dans la forêt. Ils ont été arrêtés, passés une nuit au poste et condamnés à des amendes. Kourisseva, qui venait tout juste de quitter le tribunal où elle avait été sanctionnée pour « désobéissance à la police », est repartie constater les nouvelles destructions.
« Nous étions interrogés comme si nous étions des criminels et avions tué quelqu’un », raconte cette habitante de Koroliov. Au tribunal, Mikhaïl Rogov, ingénieur de 36 ans, se souvient que « la juge souriait ». « Elle nous a dit : Si vous ne voulez pas de problèmes, signez ces papiers, payez les amendes et vous êtes libres », rapporte-t-il.
Face à la résistance citoyenne, certains experts ont proposé des alternatives. Kirill Iankov, membre d’un conseil d’experts du ministère russe des Transports, explique avoir proposé un tracé contournant le parc, proposition qui a été rejetée.
Jugements et précédents : la juge Maria Loktionova
Plusieurs militants et observateurs pointent un contexte judiciaire et politique répressif, amplifié par le climat général de répression des voix dissidentes depuis le début de l’offensive russe en Ukraine. La juge Maria Loktionova, qui a présidé des audiences locales, apparaît au cœur des critiques des défenseurs de l’environnement.
En 2023, Maria Loktionova avait condamné un autre militant écologiste, Alexandre Bakhtine, à six ans de prison pour trois publications sur les réseaux sociaux dénonçant l’offensive russe en Ukraine. Ce précédent est cité par les opposants pour illustrer « la pression judiciaire » pesant sur les militants écologiques et civiques.
Sur le terrain, les militants affirment ne poursuivre qu’un objectif de préservation. « Nous ne voulons que défendre la nature. Il n’y a pas que nous six qui en ayons besoin », souligne Irina Kourisseva.
Enjeux locaux et impact écologique
La construction de l’autoroute et le futur complexe immobilier soulèvent des questions pratiques et écologiques : fragmentation des habitats, perturbation des espèces protégées et intensification du trafic en périphérie de Moscou. Les défenseurs estiment que la présentation du projet comme « réparation » d’une route existante constitue une manœuvre administrative destinée à contourner les protections légales des espaces protégés.
Les autorités locales indiquent favoriser le développement urbain et la fluidité du trafic, tandis que les écologistes demandent des évaluations d’impact indépendantes et l’examen de tracés alternatifs. Le calendrier officiel (achèvement prévu en mars 2026) et le budget annoncé restent au centre des débats entre promoteurs, autorités et défenseurs du parc.