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Dans une vaste étendue immaculée de Sibérie, des monticules enneigés, semblables à de petites briques, parsèment désormais les paysages ruraux. Ces formations, résultant du dégel accéléré du pergélisol, modifient profondément le terrain, fragilisent les constructions et contribuent à la libération accrue de gaz à effet de serre, accentuant ainsi le changement climatique.
Des monticules en expansion liés au réchauffement
En fin mars, dans la région de Iakoutie, en Extrême-Orient russe, où la température avoisinait les −20 °C, le sol présente de nombreuses bosses appelées « bylars » en langue iakoute. Ces structures, hautes d’un mètre environ et aux formes polygonales régulières, résultent du phénomène de « thermokarst », un processus lié au dégel du pergélisol, ce sol supposé toujours gelé.
Nikita Tananaev, directeur du laboratoire du climat de l’Université fédérale du Nord-Est à Iakoutsk, souligne que ces monticules ne sont pas récents, mais leur nombre augmente avec l’accélération du dégel due au changement climatique. Il explique que la glace souterraine, disposée en polygones, fond progressivement, provoquant l’enfoncement des espaces entre les monticules tandis que leurs sommets restent stables.
« Avec le réchauffement climatique, la glace fond de plus en plus vite », précise-t-il.
Une menace pour les infrastructures locales
Ces formations se répandent même à proximité des villes. À Tchouraptcha, village situé à 135 kilomètres de Iakoutsk, le propriétaire Innokenti Posselski remarque que son terrain, autrefois plat lorsqu’il l’a acheté, est désormais couvert d’une vingtaine de bosses. « Il y a une quarantaine d’années, un aérodrome occupait cet espace, mais le paysage s’est bosselé au fil des décennies », raconte-t-il.
Les habitations sont majoritairement construites sur des pilotis ancrés dans le pergélisol. Toutefois, le dégel durable fragilise ces fondations. À Iakoutsk, plusieurs immeubles montrent des signes de déformation avec murs affaissés et fissurés.
Mikhaïl Kouznetsov, responsable de l’agence fédérale pour le développement de l’Orient russe, indiquait en 2024 que plus de 40 % des constructions dans la zone de pergélisol, couvrant 65 % du territoire russe, étaient affectées par ces déformations.
Des températures records et leurs conséquences
Les températures moyennes ont augmenté de 1,5 °C en trente ans en Iakoutie, et jusqu’à 2 °C dans certaines zones, selon Nikita Tananaev. Cette hausse exceptionnelle se reflète dans des records, comme les −8 °C relevés en janvier 2025 à Iakoutsk, alors que la moyenne habituelle est de −40 °C à cette période.
Ces observations confirment des tendances mondiales où 2023 et 2024 sont parmi les années les plus chaudes jamais enregistrées, dues principalement à la combustion d’énergies fossiles. La Russie demeure le cinquième plus grand émetteur mondial de gaz à effet de serre.
Impacts sanitaires et environnementaux du dégel
Alexandre Makarov, directeur de l’Institut de recherche sur l’Arctique et l’Antarctique à Saint-Pétersbourg, insiste sur la gravité du phénomène : « Même une différence d’un ou deux degrés Celsius, lorsque les températures restent négatives, est cruciale scientifiquement car le pergélisol ne gèle plus aussi profondément qu’auparavant. » Pour mieux comprendre ce phénomène, l’institut a installé 78 puits d’observation dans 12 régions russes et prévoit d’en avoir 140 à terme.
Le dégel du pergélisol libère de grandes quantités de dioxyde de carbone (CO₂) et de méthane, deux gaz à effet de serre présents dans la glace depuis des millénaires, contribuant ainsi à un cercle vicieux de réchauffement climatique et dégel accru.
Outre les effets climatiques, la fonte expose également à des dangers sanitaires. En 2016, un enfant est décédé en Sibérie de la maladie du charbon (anthrax), disparue depuis 75 ans dans la région. Les scientifiques attribuent cette résurgence au dégel d’un cadavre de renne contaminé, dont les bactéries peuvent survivre dans le pergélisol pendant plus d’un siècle, provoquant la réinfection des troupeaux.