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Un procès inhabituel se déroule au Kenya, où un tribunal de Nairobi doit rendre son verdict concernant deux jeunes Belges de 18 ans accusés d’avoir tenté d’exporter illégalement des milliers de fourmis, enfermées dans des tubes à essai. Ce dossier met en lumière un trafic discret mais mondial de fourmis, souvent utilisées comme animaux de compagnie, et soulève des inquiétudes quant aux risques d’invasions biologiques liées à ce commerce peu contrôlé.
Une saisie exceptionnelle au Kenya
Cette affaire est remarquable par l’ampleur de la prise et par la nature même des animaux concernés. Les deux jeunes Belges sont accusés de possession illégale et de trafic d’animaux sauvages vivants, avec un risque de peine pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison et une amende de 9 500 euros environ. Le Kenya, habitué à lutter contre le trafic d’ivoire, de cornes de rhinocéros ou d’écailles de pangolins, se trouve confronté ici à un commerce moins médiatisé mais tout aussi inquiétant : celui des fourmis comme animaux de compagnie.
Jérôme Gippet, chercheur suisse spécialisé dans les invasions biologiques, explique que ce commerce est en pleine expansion et que la baisse des prix de certaines espèces rares résulte d’une capture de plus en plus massive. Ce marché s’est complexifié avec l’intervention d’intermédiaires, de récolteurs et de commerçants à l’échelle mondiale. Aujourd’hui, plus de 1 000 espèces de fourmis sont proposées à la vente en ligne.
Le profil des acheteurs et usages des fourmis
La majorité des acheteurs sont des passionnés qui voient dans ces insectes de véritables animaux de compagnie. Les groupes d’éleveurs recensés sur les réseaux sociaux sont majoritairement composés d’adolescents de 14 à 21 ans, ce qui correspond au profil des deux Belges inculpés. On trouve également des enseignants qui utilisent les fourmis comme outils pédagogiques. Beaucoup de ces amateurs récoltent eux-mêmes leurs fourmis dans leur environnement proche.
L’attrait pour les invertébrés tient notamment à leur faible encombrement et à leur entretien minimal, des avantages non négligeables dans les milieux urbains. Les nids artificiels, équipés d’un système de chauffage et de nourriture, se commandent facilement en ligne et sont livrés prêts à l’emploi. Une autre facette moins répandue de ce commerce concerne la consommation alimentaire, notamment en Asie du Sud-Est et en Amérique du Sud, où les fourmis sont vendues mortes et préparées. Enfin, une part marginale est destinée à la recherche scientifique, évitant ainsi aux chercheurs de se déplacer pour collecter certaines reines.
Une croissance facilitée par Internet
La capture de 5 000 reines par les jeunes Belges témoigne de l’importance grandissante du commerce en ligne. Internet a bouleversé le marché en facilitant la mise en relation entre récolteurs et consommateurs, rendant l’achat d’espèces exotiques accessible à un large public. Cette démocratisation s’accompagne d’un effet de mode et d’un désir de renouer avec la nature à travers ces petites créatures vivantes.
Les espèces les plus prisées
Parmi les fourmis les plus vendues figure Messor barbarus, une espèce européenne de la région méditerranéenne, vendue environ 10 euros la reine. Elle est idéale pour les débutants grâce à son alimentation à base de graines. Les fourmis capturées au Kenya appartiennent également au genre Messor, plus précisément Messor cephalotes, plus grandes et plus coûteuses, entre 100 et 200 euros la reine.
Les espèces exotiques, comme les fourmis coupeuses de feuilles d’Amérique du Sud, attirent pour leur comportement agricole unique et leur esthétique fascinante. Leur prix peut atteindre entre 300 et 500 euros la reine. On trouve aussi les fourmis tisserandes asiatiques, colorées et agressives, ou encore les fourmis bouledogue d’Australie, parmi les plus grandes et impressionnantes, qui peuvent piquer fortement et sauter. Le prix de ces reines a diminué ces dernières années en raison de la demande accrue, passant d’environ 500 euros à 100 euros.
Les risques environnementaux liés au trafic de fourmis
Le commerce des fourmis exotiques comporte des risques importants, notamment celui d’introduire des espèces envahissantes dans des zones où elles peuvent perturber les écosystèmes locaux. Par exemple, les fourmis coupeuses de feuilles, originaires d’Amérique du Sud, peuvent dévaster un arbre en quelques jours si elles s’échappent dans des régions aux conditions climatiques similaires, causant des dégâts agricoles considérables.
Les invasions biologiques documentées, comme celle de la fourmi électrique détectée dans le sud de la France, résultent souvent de transports accidentels via des plantes ou des fruits. Mais le commerce volontaire de fourmis vivantes pourrait, à terme, multiplier ces risques d’invasions sur une échelle mondiale.
Vers une régulation nécessaire du commerce
Le terme « trafic » est généralement réservé aux espèces protégées et à leur commerce illégal, alors que le commerce d’invertébrés reste largement non réglementé, comparable à celui de produits agricoles comme le cacao ou le café. Au Kenya, les juges s’appuient sur le protocole de Nagoya qui vise à contrôler l’exploitation commerciale du patrimoine génétique naturel, une démarche sans précédent pour ce type d’espèces. Ce procès pourrait établir une jurisprudence facilitant la régulation de ce marché.
Plutôt que d’interdire totalement ce commerce, une régulation serait plus adaptée, notamment en évaluant les risques spécifiques liés à chaque espèce de fourmi commercialisée. Réduire l’accès à certaines espèces en les rendant illégales permettrait de limiter les opportunités d’invasions biologiques, protégeant ainsi la biodiversité locale.