Table of Contents
Les files d’attente devant les préfectures ne datent pas d’hier. À Strasbourg (Bas-Rhin), les usagers dénoncent pourtant une aggravation des conditions d’accueil. Pour espérer être reçus, ils doivent désormais arriver en pleine nuit. Reportage.
Des attentes de plus en plus longues
Nous sommes le 15 juillet, il est 4h du matin. Devant la préfecture, Mona (prénom modifié) attend. Elle est arrivée de Haguenau à 1h. Sa voiture est garée en double file devant les places réservées aux personnes en situation de handicap. Sa fille de 11 ans y dort au chaud. Mona reste dehors : elle ne peut pas risquer de perdre sa place. « J’ai fait une demande de document de circulation pour étranger mineur (DCEM) pour ma fille mais je n’ai toujours pas de retour. C’est la seule [de la famille] qui ne l’a pas encore reçu », explique cette maman. « On part bientôt en vacances, on ne va pas la laisser derrière. »
Des conditions d’accueil difficiles
Poser un jour de congé (parfois sans soldes) ou passer la nuit dehors ? Voici le dilemme qui se pose quotidiennement à des centaines de personnes pour se rendre en préfecture. Et comme Mona, beaucoup choisissent la seconde option. À 4h, devant la préfecture de Strasbourg, une quarantaine de personnes, dont des enfants et des vieillards, attendent déjà. Certains sont là depuis 23h.
Cette nuit d’été est fraîche. Il fait 17° C à 4h30. Pour tenir, les premiers arrivés sont venus équipés : plaids, sacs de couchage, chaises pliantes…
Une organisation entre usagers
À cette heure-ci, il n’y a pas encore de file d’attente, mais une liste. Sur un cahier, on note l’ordre d’arrivée. Une fois sa présence inscrite, plus question de s’absenter. Ceux qui s’éclipsent pour retourner dormir pourraient être rayés de la liste. Celle-ci n’est pas mise en place par la préfecture, mais par les usagers eux-mêmes. Ils essaient de s’organiser au mieux, malgré les conditions.
Ce sont en très grande majorité des étrangers en situation régulière, qui attendent un renouvellement de titre de séjour. Malgré la possibilité de faire les démarches en ligne, les délais d’attente sont si longs (plusieurs mois), qu’ils sont contraints de se rendre sur place pour espérer faire avancer leur dossier.
Horaires d’accueil contraignants
Problème : les horaires d’accueil sont très contraignants. De 8h30 à midi et de 13h à 15h30 du lundi au vendredi, avec une fermeture le jeudi après-midi. Pour être reçu, la seule solution est donc d’arriver (très) tôt. C’est le cas de Tom (prénom modifié), jeune papa de 24 ans. « La dernière fois, je suis arrivé à 6h et je ne suis pas passé. Donc cette fois-ci, je suis venu à 1h. »
En attendant l’ouverture, on lit, on scrolle sur son téléphone, on écoute de la musique, on somnole sur les marches de la préfecture ou on discute. Cette situation pousse à la solidarité. Chaque adulte garde un œil sur les enfants présents (le plus petit a 2 ans). Les jeunes laissent les places sur les bancs aux personnes âgées.
Des attentes éprouvantes
« La dernière fois que je suis venue, c’était en hiver », témoigne Mona. « J’avais tellement froid qu’une dame m’a prêté son écharpe. Je n’ai pas pu lui rendre. Depuis, je la garde dans ma voiture et j’espère croiser cette dame pour lui redonner. »
Les usagers ressentent surtout « la fatigue ». Certains font une nuit blanche entre deux journées de travail. « J’ai juste eu le temps de rentrer chez moi après le travail, de manger, de prendre une douche et je suis venu ici à minuit », raconte Sélim (prénom modifié), père de famille et deuxième en ordre d’arrivée.
La santé en danger
Pourtant, des publics particulièrement vulnérables sont présents : des personnes âgées ou à la santé fragile. Comme Dominic (prénom modifié), 54 ans, qui a été victime d’un AVC il y a huit mois. Ou Imène, diabétique, qui ne pourra pas prendre son traitement du matin. Ou encore Francisco (prénom modifié), un quinquagénaire qui somnole sur un banc malgré sa minerve.
La peur de se retrouver en situation irrégulière
H-3 avant l’ouverture de la préfecture, à 5h30 du matin, on s’organise. Le jour se lève à peine quand Tom reprend la liste de l’ordre des arrivées. « On va commencer à se mettre en file. On est d’accord que tous ceux qui ne sont pas là, perdent leur place ? » Un vote à main levée entérine la proposition.
La file d’attente s’étend sur près de 40 mètres, presque jusqu’à la Bibliothèque nationale universitaire. Tous ici sont compagnons de galère. Tous se désolent des difficultés à prendre des rendez-vous en ligne et des bugs du site de l’ANEF (Administration numérique pour les étrangers en France)…
Des retards préoccupants
Selon une source à la préfecture, il y aurait plus de cinq mois de retard dans le traitement des dossiers de titre de séjour du Bas-Rhin. Un retard potentiellement imputable au nombre important de contractuels dans le service. Ces personnes en contrat court auraient tendance à « moins s’investir » que les titulaires, assure-t-on.
Un traitement réservé aux étrangers ?
La question à laquelle tous pensent mais que peu formulent à voix haute : cette situation pourrait-elle être liée à leur statut ? La direction de l’immigration (DIMM) des préfectures concentre les demandes liées aux étrangers. Les mois de retard, l’organisation de l’accueil et les bugs du site internet… Un traitement qui semble n’être « réservé qu’aux étrangers », estiment les usagers.
La préfecture répond
À la préfecture, on nous répond que la problématique de file d’attente n’est pas nouvelle et qu’une adresse mail a été créée pour les demandes « d’attestation de prolongation d’instruction », ce qui éviterait le passage en préfecture. Pourtant, il est apparu que cette adresse mail n’est pas communiquée sur le site de la préfecture.