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Chaque semaine, je me demande si fuir au danger est une réaction sensée ; après l’éboulement géant en Haute‑Savoie — 12 000 mètres cubes de roche se sont décrochés le week‑end dernier — la question m’est revenue, renforcée par les images amateurs où l’on voit un nuage de poussière et des promeneurs séparés en deux camps : ceux qui restent immobiles et ceux qui partent en criant. Je me suis posé la question après cet éboulement géant qui a eu lieu en Haute‑Savoie le week‑end dernier.
Au cinéma : fuir au danger dans Snow Therapy de Ruben Östlund
Pour explorer la tension entre réflexe de fuite et maintien de l’image sociale, je me suis replongée dans le film Snow Therapy, sorti en 2014 et réalisé par Ruben Östlund. L’histoire suit une famille suédoise apparemment parfaite en vacances au ski dans les Alpes : « Monsieur est fortuné, bodybuildé, madame a une taille mannequin, même les enfants, blonds, skient à la perfection… » Tout bascule lorsqu’ils assistent, depuis la terrasse d’un restaurant où ils déjeunent, à une avalanche.
Dans un blockbuster américain, le père aurait probablement pris sa femme et ses enfants dans ses bras pour les protéger. Dans Snow Therapy, il prend peur : il « fuit ventre à terre, laisse sa femme et ses enfants derrière lui ! » Puis il revient, comme si de rien n’était, quand le danger est passé. Cet acte de fuite transforme la situation en crise de couple, dévoilant les fragilités derrière l’apparence.
Une mise en scène qui accentue la gêne
Le film repose largement sur le malaise, ponctué de scènes extrêmement gênantes : « des silences lourds, des dialogues pesants. » Östlund use d’une mise en scène précise pour renforcer cette impression : plans fixes, géométriques, longs, qui coincent le spectateur avec le couple en train de se disloquer. La bande‑son est quasiment absente, à l’exception d’un air de Vivaldi — les Quatre saisons — qui revient en boucle. À chaque réapparition de cet air, le spectateur se demande si une nouvelle catastrophe ne va pas survenir.
La tension devient parfois comique : quand les personnages craquent et que la situation part en vrille, le rythme du montage s’accélère et l’émotion bascule dans l’hilarité, une bascule typique chez Östlund.
Le propos du réalisateur et ses obsessions
Ruben Östlund se moque du théâtre social et du paraître ; son objectif est « révéler la nature profonde de ses personnages (souvent riches et puissants, tant qu’ils sont dans leur écosystème) ». Pour y parvenir, il les place dans des situations extrêmes : face à une avalanche dans Snow Therapy, « livrés à eux‑mêmes sur une île déserte, dans Sans filtre », ou confrontés aux dérapages d’un dîner mondain dans The Square, où un homme à moitié nu se met à sauter sur les tables, entre performance artistique et menace physique. Le réalisateur le disait clairement il y a quelques années dans une interview, je cite « Tous mes films traitent de gens qui tentent de sauver la face ». Et il les regarde perdre de leur superbe avec un plaisir non dissimulé.
Réflexion : que nous dit le film sur fuir au danger ?
Si l’on en croit Snow Therapy, non, il ne semble pas très sérieux de fuir au moindre danger, surtout si l’on souhaite préserver des liens comme le mariage. L’exemple du père qui prend la fuite illumine la tension entre réponse instinctive et responsabilité sociale : sa fuite sauve peut‑être sa peau sur le moment, mais elle détruit la confiance et déclenche une crise durable.
Cela ne veut pas dire qu’il faut stigmatiser toute forme de fuite immédiate : face à une menace réelle et soudaine, on n’a souvent pas le temps de raisonner selon des principes moraux ou cinématographiques. « Mais, inutile de trop réfléchir à cette question, si un jour, on est confrontés à une situation extrême, on n’aura pas le temps de penser au cinéma suédois. »
Écouter et prolonger
Pour aller plus loin, le sujet a fait l’objet d’un format audio intitulé « Ruben Östlund, le réalisateur aux deux Palmes d’Or » dans le programme Bienvenue au Club (27 min), qui revient sur les obsessions du cinéaste et ses manières de filmer le malaise social.