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Légalité de l’espionnage russe en Autriche : une réalité silencieuse

by Sara
Autriche

Une enquête révèle la présence d’un chercheur russe à l’IIASA et soulève des questions sur l’espionnage en Autriche, la Russie et la législation qui encadre ces activités, sans pour autant provoquer de réaction officielle notable.

IIASA et l’espionnage en Autriche : le cas Dmitry Erokhin

Siège de l'IIASA à Laxenburg, Autriche
Le siège de l’institut IIASA dans un palais autrichien à Laxenburg, près de Vienne, le 12 septembre 2025

Dmitry Erokhin travaille au sein de l’Institut international pour l’analyse des systèmes appliqués (IIASA), installé dans un château près de Vienne. Fondé pendant la Guerre froide pour favoriser les échanges scientifiques entre Est et Ouest, l’IIASA emploie plus de 500 chercheurs et réunit 19 États membres ainsi qu’une entité représentant des pays d’Afrique sub-saharienne.

Depuis 2019, M. Erokhin publie des travaux portant sur la navigation dans l’Arctique, les investissements chinois en Europe de l’Est, l’impact de la désinformation et le complotisme. Il a cosigné des études avec trois autres chercheurs de l’IIASA, tous formés en Russie, d’après des informations partagées sur les réseaux sociaux.

Selon une enquête du quotidien Der Standard, coordonnée au niveau international par l’Organised Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), M. Erokhin aurait aussi été lié à la fondation Pravfond, soupçonnée de financer des projets de désinformation et de défendre des personnes accusées d’espionnage. Le journal affirme qu’il a dirigé de 2022 à 2024 une association logée à la même adresse que l’Institut culturel russe à Vienne, et dédiée à « la promotion des valeurs culturelles, juridiques et humaines en général ».

Der Standard indique que M. Erokhin a utilisé cette association comme « point de contact » pour fournir une aide juridique à la diaspora russe en Autriche et que Pravfond l’a rémunéré, citant des courriels et des documents internes transmis à la télévision danoise DR. Un mois plus tôt, en avril, la Cour des comptes de l’Union européenne avait déploré l’absence de contrôles garantissant que les entités financées avec des fonds européens respectent les valeurs de l’UE.

Bâtiment de l'IIASA à Laxenburg
L’institut IIASA situé à Laxenburg, près de Vienne, en Autriche, le 12 septembre 2025

Dans son rapport 2024, l’IIASA a bénéficié d’un peu plus de 19 000 000 € en contrats et subventions, dont une part non précisée provenant de l’Union européenne. Le ministère autrichien des Affaires étrangères a confirmé que M. Erokhin « disposait toujours d’un visa valide », le gouvernement « n’ayant aucune information de la part de la police » l’incriminant.

Interrogé par l’AFP, l’IIASA a indiqué avoir diligenté une « enquête interne » suite aux informations publiées par Der Standard, qui pouvaient laisser supposer un possible conflit d’intérêt, contraire au règlement de l’institut. Selon une porte-parole, « L’IIASA n’a trouvé aucune preuve d’acte répréhensible de la part » du chercheur russe, « actuellement toujours employé ». Elle ajoute qu’il a « nié toute implication » avec Pravfond et a « l’intention d’entreprendre une action en justice ».

Der Standard a confirmé à l’AFP avoir reçu une lettre d’avocat exigeant de retirer le nom de M. Erokhin de son article en ligne, mais « pas de plainte ». « Nous ne voyons aucune raison de modifier notre reportage », a précisé le quotidien. Contacté, Dmitry Erokhin n’a pas répondu à l’AFP.

Législation autrichienne, réactions internationales et conséquences pour l’IIASA

Arches de l'Opéra de Vienne, lieu d'espionnage historique
Les arches de pierre de l’Opéra national de Vienne, photographiées le 9 avril 2024. Elles servaient de lieu de rencontre pour les espions sous la Guerre froide.

En Autriche, les faits reprochés à ce chercheur, s’ils sont avérés, ne constituent pas nécessairement une infraction : l’espionnage est légal tant qu’il n’est pas opéré « au détriment de l’Autriche ». Cette particularité distingue l’Autriche de pays comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni, où des condamnations ont été prononcées contre des informateurs de Moscou. Au Danemark, une ressortissante russe a été arrêtée après les révélations du groupe audiovisuel public DR dans le cadre de l’enquête de l’OCCRP.

Ces dernières années, plusieurs scandales d’espionnage au profit de la Russie ont terni l’image de Vienne auprès des services de renseignement occidentaux. Le gouvernement autrichien, dirigé par des conservateurs, a inscrit dans son programme de coalition la volonté « de créer de nouveaux délits d’espionnage », sans préciser si l’intention est d’interdire l’espionnage à l’encontre d’autres États.

Neutre depuis 1955, l’Autriche a cependant dénoncé l’invasion russe de l’Ukraine et se veut une terre de dialogue. Les tensions internationales compliquent néanmoins la coopération au sein d’institutions comme l’IIASA : l’institut n’a plus le droit, en raison des sanctions, de collecter la participation russe, même si la Russie en reste membre.

La coopération scientifique est fragilisée : l’IIASA compte des chercheurs originaires d’Ukraine, de Russie, d’Israël ou d’Iran, et la baisse de certaines contributions pèse sur son budget. Selon une porte-parole, la réduction de la contribution américaine a laissé « un déficit budgétaire important » nécessitant des économies « immédiates », comme des « baisses volontaires de salaire ».

L’affaire Dmitry Erokhin illustre les tensions entre liberté de recherche, sécurité et cadre légal en Autriche, et relance le débat sur l’adaptation de la législation nationale face aux pratiques du renseignement étrangères.

Espionnage | Autriche | Russie | Iiasa | Législation | Sécurité
source:https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20250916-en-autriche-l-espionnage-russe-en-toute-l%C3%A9galit%C3%A9

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