Nine Antico : l’émancipation à travers la sexualité et la création

Nine Antico, BD, sexualité, émancipation, art, Marseille — Venise comme point de départ

Pour se retrouver, il faut parfois s’égarer. À Venise, ville des brumes et des labyrinthes, Nine Antico raconte s’être « perdue, avant même d’y avoir mis un pied ». Un séjour en amoureux était prévu ; après la séparation, il restait le billet d’avion et une question : fallait‑il y aller quand même ?

« Je n’avais jamais été aussi indécise de ma vie », se souvient‑elle. Assise à une table, elle a tenté d’écrire : pour la première fois, « les mots viennent avant les images ». Ce geste a donné soixante pages manuscrites, le canevas d’Une obsession, plongée déroutante dans la sexualité et la « psyché lagunaire » de l’autrice.

Venise devient, explique‑t‑elle, « le biais par lequel entrer dans ce texte intime, le vecteur pour raconter cette histoire de mon corps, à travers les relations que j’ai eues ». La cité lagunaire sert autant la forme que le fond : elle offre le décor et la logique d’un récit centré sur la mémoire, le désir et la représentation graphique.

Écriture, masque et forme graphique

Dans Une obsession, les personnages, y compris l’autrice, portent un masque vénitien. Ce choix est motivé par une volonté de protection et de dépersonnalisation : hors de question qu’un individu reconnaisse un visage, et, de toute façon, il ne s’agit pas de dresser une liste de ses amants. Le masque devient donc un outil narratif et symbolique pour parler du corps et des relations sans exposer des identités réelles.

Le passage des mots aux images marque un renversement dans son processus créatif. Là où, habituellement, Nine Antico construit d’abord des planches graphiques, ici l’écriture a précédé le dessin. Le manuscrit initial a servi de fil conducteur pour la composition visuelle de la bande dessinée.

« J’espère que vous savez nager »

Cette phrase, prononcée par l’autrice avant notre rencontre à Paris, fin août, dans les locaux de son éditeur Dargaud, annonce le ton du récit : une invitation à plonger dans une intimité à la fois troublante et ordonnée, où la mer et ses métaphores occupent une place centrale.

Le recours au masque et à la langue lacunaire de la lagune impose également des choix graphiques forts : jouer avec le flou, les reflets, les zones d’ombre, pour rendre palpables les états intérieurs et la mobilité des identités. Nine Antico refuse la neutralité : son travail interroge la manière dont le trait et la composition peuvent rendre compte d’émotions complexes.

Rencontre éditoriale et intentions

La rencontre avec l’éditeur Dargaud, mentionnée par l’autrice, s’est tenue à Paris, fin août. Il s’agissait d’un rendez‑vous professionnel lié à la publication du projet, après l’élaboration du texte et des premières images. Le processus éditorial y prend place sans que l’autrice n’éclaircisse, dans le texte fourni, le calendrier précis de sortie ou d’autres détails commerciaux.

Nine Antico conçoit son œuvre comme une exploration de la sexualité et de l’émancipation à travers la bande dessinée : la question du corps, des désirs et de la représentation graphique forment l’armature du récit. Elle privilégie la pudeur narrative (masques, anonymat) tout en cherchant à rendre visible l’invisible des affects.

Le lien entre Marseille, où elle travaille, et Venise, toile de fond du récit, cristallise cette géographie intérieure : l’atelier marseillais est le lieu de création, la lagune vénitienne celui de l’expérience et du souvenir. Entre ces deux lieux, l’autrice compose un récit qui mêle confession et distance esthétique.

Ce que le lecteur peut attendre

Sans dévoiler la totalité de l’œuvre, les éléments fournis permettent d’anticiper une bande dessinée intimiste, construite à partir d’un texte initial dense et réorganisé en images. Le parti pris formel — masque, atmosphère lagunaire, mise en avant de la parole écrite — oriente le lecteur vers une expérience de lecture centrée sur la sensation et la mémoire.

Nine Antico propose ainsi, par son approche, une réflexion sur la manière dont la BD peut aborder la sexualité et l’émancipation sans céder au spectaculaire : une tentative de donner à voir des états subjectifs tout en préservant l’anonymat et la dignité des relations évoquées.