L’avocat général a requis des peines de 10 à 15 ans de réclusion criminelle contre trois femmes jugées à Paris pour leur appartenance à l’État islamique, soulevant des questions de recel, terrorisme, Syrie, femmes jihadistes, condamnation dès l’ouverture des débats.
À Paris, réquisitions pour recel, terrorisme, Syrie, femmes jihadistes, condamnation
Les réquisitions ont été prononcées jeudi à l’encontre de Christine Allain, 67 ans, de sa belle‑fille Jennyfer Clain, 34 ans, et de Mayalen Duhart, 42 ans, jugées depuis le 15 septembre par la cour d’assises spéciale de Paris. L’avocat général, Nicolas Braconnay, a affirmé : « Elles n’ont pas été victimes de la terreur, mais agents de la terreur ». Il a demandé 15 ans de réclusion criminelle pour Christine Allain, 13 ans pour Jennyfer Clain et 10 ans avec mandat de dépôt à effet différé pour Mayalen Duhart, sortie de détention provisoire il y a deux ans.
D’origine française, les trois femmes sont parties en Syrie avec chacune quatre enfants peu après la proclamation du « califat » par Abou Bakr al‑Baghdadi en juin 2014. Elles se sont d’abord installées à Raqqa, puis ont fui en 2017 le long de l’Euphrate devant l’avancée des forces kurdes soutenues par une coalition internationale. Leur périple s’est achevé à Azaz, près de la frontière turque, dans un camp où elles décrivent des conditions de vie déplorables et des violences récurrentes.
Devant la cour, elles ont dit avoir refusé de rentrer en France et vécu au sein d’un groupe restreint de femmes de l’EI, « toutes plus radicales les unes que les autres ». L’avocat général a souligné la compétition entre elles pour afficher une orthodoxie religieuse : au moindre désaccord, « les excommunications des unes et des autres se succèdent », tenant d’une « surenchère » pour devenir « la meilleure musulmane ». Ces tensions ont, selon l’accusation, aggravé la précarité quotidienne — se nourrir, se laver, se chauffer — dans le camp.
Les trois femmes ont été arrêtées en 2019 avec leurs enfants et rapatriées en France après un passage en centre de rétention en Turquie. Le ministère public retient la longueur du séjour en Syrie, un « long séjour » qui, selon lui, « n’est venu remettre en cause » aucune des manifestations les plus violentes de la terreur djihadiste et qui a causé un « tort considérable à leurs enfants ».
Interrogatif sur le cheminement idéologique, M. Braconnay a demandé : « Comment peut‑on avec un tel acharnement combattre pour sa servitude comme s’il s’agissait de son salut ? » et : « Comment se déradicaliser quand on est allé aussi loin dans le fanatisme ? », rappelant le rôle central des femmes et des familles « au cœur du projet djihadiste colonial de l’EI ». Il a évoqué « un lent ancrage de l’idéologie djihadiste » au sein du clan.
Les liens familiaux avec des cadres de l’organisation pèsent dans l’accusation. Jennyfer Clain est la nièce de Jean‑Michel et Fabien Clain, présumés morts en Syrie, responsables de la propagande francophone de l’EI et associés à la revendication des attentats du 13‑Novembre. Thomas Collange, mari de Mayalen Duhart, travaillait au sein des télécommunications du groupe, et Kevin Gonot, mari de Jennyfer Clain, a combattu à Kobané ; blessé, il percevait des subsides du groupe, élément que l’accusation présente comme une preuve de son rôle important dans la hiérarchie.
Sur le cas particulier de Christine Allain, l’accusation rapporte qu’elle serait arrivée en état de « béatitude » et qu’on lui avait confié « une mission » : recueillir des témoignages sur des accusations de violences dans les maisons pour femmes tenues par l’EI. Elle affirme avoir servi d’interprète pour « une amie ». Selon son avocat, Me Édouard Delattre, les « premiers doutes » de Christine Allain sur le groupe sont apparus à ce moment‑là, sans que l’enquête n’entraîne de changement au sein de l’organisation.
La défense de Jennyfer Clain, Me Guillaume Halbique, a plaidé la rupture avec l’islam radical : « Jennyfer Clain a aujourd’hui « choisi la lumière et mettra toute son énergie à être une bonne citoyenne » », a‑t‑il déclaré, assurant que sa cliente n’adhérait plus aux thèses radicales. L’accusation, elle, insiste sur la responsabilité collective et le caractère systémique de l’endoctrinement familial.
Le procès a mis en lumière la trajectoire des trois femmes — conversions au début des années 2000, radicalisation progressive et départ pour la Syrie — et la manière dont l’idéologie djihadiste s’est diffusée au sein du clan. M. Braconnay a conclu sur une interrogation sur le recrutement : « Qu’elle ait pu être recrutée de manière informelle dans une organisation paranoïaque et totalitaire m’étonne ». Le verdict est attendu vendredi.