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Par une chaude journée de septembre à Dodoma, la capitale tanzanienne, des chants et des percussions ont animé le stade Jamhuri. Zuwena Mohamed, la chanteuse connue sous le nom de Shilole, est montée sur scène vêtue du vert emblématique du parti au pouvoir, le Chama Cha Mapinduzi (CCM), et a appelé à voter pour la présidente sortante Samia Suluhu Hassan.
Son message, partagé avec ses 11 millions d’abonnés Instagram, dépasse le simple soutien d’une célébrité : il illustre une bataille numérique qui s’intensifie à l’approche du scrutin prévu le 29 octobre 2025. Parallèlement, les réseaux sociaux servent aussi d’espace d’expression pour des voix critiques, souvent anonymes, qui redoutent des représailles.
Contexte électoral
Plus de 37 millions de personnes se sont inscrites pour voter dans un pays d’environ 69 millions d’habitants. Pourtant, deux forces d’opposition majeures — le parti Chadema et le candidat principal de l’ACT-Wazalendo Luhaga Mpina — ont été exclues de la course, laissant le CCM de la présidente Hassan presque sans défi.
Le chef de Chadema, Tundu Lissu, a été arrêté en avril et fait face à des accusations de trahison ; son arrestation est documentée dans les médias internationaux, notamment sur le site d’Al Jazeera : https://www.aljazeera.com/news/2025/4/10/tanzania-opposition-party-leader-tundu-lissu-charged-with-treason.
Des organisations de défense des droits humains, comme Human Rights Watch (https://www.hrw.org/news/2025/09/29/tanzania-deepening-repression-threatens-elections) et Amnesty International (https://www.amnesty.org/en/documents/afr56/0376/2025/en/), estiment que ces exclusions s’inscrivent dans une répression plus large. Le gouvernement a nié ces allégations et publié une réponse officielle (http://www.maelezo.go.tz/storage/app/uploads/public/68d/e15/8d9/68de158d9c9e0768076595.pdf).
Les débats migrent en ligne
Avec la crainte de parler publiquement, les discussions politiques se déplacent massivement vers les plateformes numériques. Abel Kinyondo, chercheur en science politique à l’université de Dar-es-Salaam, explique que cette évolution était « inévitable » : les internautes cherchent à préserver leur anonymat pour s’exprimer plus librement.
Sur Instagram, des comptes pro-gouvernementaux côtoient des publications critiques. Pour beaucoup, les réseaux offrent un espace de mobilisation, d’information et de contestation hors du champ public traditionnel.
- Usage croissant des influenceurs pour soutenir le CCM.
- Comptes anonymes et pseudonymes pour dénoncer ou organiser des actions.
- Rôle central des plateformes dans la formation de l’opinion avant le 29 octobre.
Frustration et mobilisation sur TikTok et X
La Tanzanie compte plus de 49 millions d’internautes et une population où plus de la moitié a moins de 18 ans. TikTok est devenu un lieu privilégié pour exprimer frustration et ironie politique, avec des vidéos virales dénonçant la gestion des ressources, notamment l’eau.
Des appels à manifester le jour du scrutin (#MO29) circulent, certains organisateurs étant basés à l’étranger. Sur X, l’activiste Ananilea Nkya a indiqué : « Je n’ai jamais vu, lors d’aucune élection, autant de citoyens perdre espoir pour leur vie que cette année » (https://x.com/AnanileaN/status/1982837952070992295).
Les autorités ont mis en garde contre l’incitation à la non-participation électorale. Le commissaire adjoint de police David Misime a rappelé la capacité des forces à retracer les activités en ligne lors d’une intervention radiophonique relayée sur X : https://x.com/msigwagerson/status/1981669569375912133?s=46.
Contrôle du paysage numérique
Sur le versant pro-gouvernemental, des personnalités comme Faraja Nyalandu prennent la parole pour défendre le bilan de la présidente Hassan. Imani Masiga, responsable du numérique au sein du CCM, affirme que les influenceurs ne sont pas payés, même si une aide logistique peut leur être apportée.
Pour les défenseurs des droits numériques, la réalité est différente : le groupe Tech & Media Convergence (TMC) dénonce une campagne systématique de contrôle de l’espace informationnel pré-électoral. Des perturbations d’accès à X et YouTube ont été signalées depuis mai et août, et la Tanzania Communications Regulatory Authority (TCRA) a suspendu JamiiForums pour 90 jours (https://www.tcra.go.tz/uploads/documents/sw-1757156128-TAARIFA_KWA_UMMA___JAMII_FORUMS__1__1032107643381814476641029946369102376331757154927982.pdf).
Le rapport de TMC met en garde contre une montée de la censure, de la surveillance et des pressions réglementaires susceptibles de vider l’espace public d’alternatives indépendantes et d’alimenter l’apathie électorale.
Enjeux hors écran
Au-delà des échanges numériques, les analystes appellent à recentrer le débat sur des enjeux concrets : création d’emplois, accès aux soins, éducation, eau, électricité et logement. La Banque mondiale souligne que la Tanzanie dispose d’atouts importants, mais que la transformation économique stagne et que la pauvreté reste très répandue.
Abel Kinyondo invite le CCM à moins combattre la narration sur les réseaux sociaux et davantage à réaliser ses promesses. « Si le CCM commence à rivaliser avec les utilisateurs des réseaux sociaux pour créer de la propagande, c’est comme se battre dans la boue — on ne gagne pas ce combat », a-t-il déclaré.
Par ailleurs, des voix dissidentes s’exposent : Humphrey Polepole, un ancien cadre du CCM, a accusé le parti d’orchestrer une élection truquée et d’affirmer que la commission électorale est compromise. Peu après ses déclarations sur YouTube et Instagram, il aurait été enlevé depuis son domicile ; la police indique que des enquêtes sont en cours.
Perspectives et tensions
La présence accrue des forces de l’ordre dans plusieurs villes témoigne d’une appréhension des autorités face à d’éventuelles manifestations. Entre contrôle du discours, restrictions des plateformes et mobilisation en ligne, l’environnement pré-électoral reste tendu.
Pour les observateurs, l’enjeu est clair : préserver un espace d’expression pluraliste et garantir des élections crédibles, tout en répondant aux besoins socio-économiques qui préoccupent la majorité de la population.
Cet article a été publié en collaboration avec Egab (https://www.egab.co/).


