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Les négociations autour du télétravail chez Ubisoft ont accentué la tension entre la direction et les salariés. Ces derniers déplorent ne pas avoir obtenu la possibilité de rester en télétravail à 100 % et dénoncent une véritable mise sous pression pour accepter un accord insatisfaisant.
Un climat social tendu au cœur des négociations
À l’issue d’un nouveau cycle de rencontres avec la direction, un représentant syndical d’Ubisoft Paris confiait début mai : « Ils nous mettent le couteau sous la gorge pour signer ». Ce sentiment d’extrême pression illustre le blocage persistant sur ce dossier stratégique. Le vendredi 9 mai, les trois syndicats d’Ubisoft Paris — STJV, CFE-CGC et Solidaires Informatiques — ont publié un communiqué commun dénonçant un « processus biaisé ».
Ils reprochent notamment à la direction un manque de protection des salariés vulnérables, une opacité dans l’attribution des dérogations au télétravail, ainsi qu’un vide stratégique concernant l’avenir du télétravail dans l’entreprise. Les syndicats pointent aussi un contexte inédit de pressions et d’entraves au dialogue social, malgré les efforts affichés par Ubisoft pour renouer un dialogue constructif avec les représentants du personnel depuis plusieurs mois.
Retour obligatoire au bureau : une condition pour stimuler la créativité
La direction souhaite mettre fin au télétravail généralisé instauré pendant la pandémie et impose un minimum de trois jours de présence hebdomadaire au bureau. L’objectif affiché est de favoriser les interactions en présentiel pour booster la créativité collective. Cette mesure rencontre une forte opposition, notamment de la part de salariés qui pratiquent le télétravail à 100 % pour des raisons personnelles telles que déménagements, contraintes familiales ou clauses de leurs contrats.
Un représentant ironise : « Yves Guillemot aurait découvert que 50 % des salariés du siège, le Floresco à Saint-Mandé, ne se connaissaient pas. Il n’a pas aimé, donc il faut faire revenir les gens ». Le télétravail, quasi inexistant avant la pandémie, avait été massivement adopté pour répondre à la forte demande de jeux pendant le confinement, permettant aux 20 000 employés de continuer à travailler depuis leur domicile.
Certains employés ont réorganisé leur vie loin des bureaux et redoutent des difficultés à revenir en présentiel, comme le souligne un élu de Solidaires Informatiques.
Des employés d’Ubisoft en grève à Montpellier, le 15 octobre 2024 dans l’Hérault © Pascal GUYOT © 2019 AFP
Des négociations marquées par des blocages et un compromis contesté
Durant les six derniers mois, les syndicats ont dénoncé plusieurs difficultés : quatre changements d’interlocuteurs RH, des actes qualifiés de répression syndicale, l’absence d’études d’impact sur les conséquences du retour au bureau, et un manque de justifications chiffrées. La direction, qui avait initialement évoqué un seuil de 60 % de travail en présentiel, propose finalement un passage de 100 % à 90 % (soit 1 à 2 jours de télétravail par mois).
Les dérogations déjà accordées à certains employés seraient maintenues, mais sous conditions strictes et renouvelables chaque année. Ce système de validation passerait par un comité formé du directeur du studio et d’un représentant de la DRH, sans implication directe des représentants syndicaux.
Un délégué syndical s’inquiète : « Ce sont des gens qui ne connaissent pas les personnes concernées et vont prendre des décisions sans comprendre les implications sur les productions. Ils n’entendront que le management, pas les syndicats. C’est totalement biaisé et opaque sur les critères retenus. »
Un télétravail à 100 % négocié au cas par cas
Pour l’instant, la direction s’est engagée verbalement à ne pas forcer les salariés à 100 % télétravail à revenir au bureau en invoquant la clause de réversibilité. En revanche, ceux en télétravail partiel ne pourront pas augmenter leur temps de non-présentiel.
Les syndicats regrettent la fragilité des situations individuelles pérennisées, qui restent sujettes à révocation unilatérale, et le refus d’élargir les critères de dérogations, notamment pour les salariés ayant de longs trajets domicile-travail.
À Montpellier et Annecy, aucun accord n’a été signé, tandis qu’à Paris, seul Solidaires Informatiques a approuvé le texte, non par adhésion, mais pour sécuriser les avancées minimales obtenues. Le siège à Saint-Mandé, soumis à un régime différent, a quant à lui entériné les négociations. « Les accords varient studio par studio, avec des progrès inégaux », déplore la délégation syndicale.
La promesse de co-construction décevante
La fameuse promesse de « co-construction » répétée par Xavier Poix a été perçue comme une illusion par les salariés. « Ils se sont bien moqués de nous », affirme un employé parisien. « Il n’y a eu aucune co-construction : la proposition finale est un copier-coller du siège, alors que les situations et les représentations syndicales diffèrent. »
Malgré les succès récents d’ »Assassin’s Creed Shadows » et de « Prince of Persia: The Lost Crown » aux Pégases 2025, la tension sociale demeure forte, surtout à l’approche de la communication des résultats financiers du groupe le 14 mai.
Ubisoft n’a pas souhaité commenter ces critiques. Le syndicat parisien signataire se réserve la possibilité de dénoncer l’accord et d’engager de nouvelles négociations, ce qui prolongerait la crise sociale. Le risque est un retour forcé au présentiel qui pourrait provoquer des départs volontaires, évitant à la direction d’avoir recours à des licenciements, comme cela a été le cas ailleurs dans le groupe avec la fermeture de plusieurs studios.
Un élu exprime son inquiétude : « On craint une désorganisation des productions et une augmentation des risques psychosociaux ». Il y a quelques mois, déjà, 25 % des salariés envisageaient de quitter Ubisoft si le télétravail à 100 % était abandonné. Aujourd’hui, cette option est gravement remise en question dans un contexte où de nombreux acteurs du secteur imposent un retour au bureau parfois plus rigoureux, à l’image d’Amazon qui a complètement supprimé le télétravail.