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«Brief History of a Family», premier long métrage du cinéaste Jianjie Lin, offre un portrait sensible et ambigu du cinéma chinois contemporain, explorant les tensions de classe et les blessures familiales à travers la rencontre de deux adolescents.
Un portrait du cinéma chinois contemporain signé Jianjie Lin
Curieuse entrée en matière : dans la cour de récréation, Wei lance un ballon de basket sur la nuque d’un camarade qui s’exerce aux barres parallèles. Pour se faire pardonner, il invite Shuo chez lui pour partager des jeux vidéo. Les parents proposent alors au garçon de dîner avec eux. Shuo, discret et laconique, accepte poliment. On remarque aussitôt qu’il n’a pas l’habitude : sa façon de se servir des sauces trahit son milieu. Les Tu, bien élevés, ne commentent pas ; madame lui offre même des Tupperware remplis des restes.
Ce premier film du Chinois Jianjie Lin décrypte avec finesse l’empire du milieu. Le cinéaste choisit la finesse et l’ambiguïté, privilégiant une réalisation élégante et glacée qui épouse l’atmosphère de l’appartement — aquarium, baies vitrées, miroirs, tables en verre — où se noue l’essentiel du récit. Un week‑end dans un hôtel de luxe viendra compliquer encore les rapports entre les personnages.
Personnages et interprétations
Les deux jeunes comédiens incarnent les positions sociales et affectives du film : Xilun Sun (au premier plan) et Muran Lin jouent respectivement Shuo, «un enfant sérieux et délicat», et Wei, «insolent et paresseux». Shuo porte un passé lourd : il a perdu sa mère à 10 ans, et son père, alcoolique, n’hésite pas à le rouer de coups — des bleus en attestent.
Le couple Tu prend Shuo sous son aile. M. Tu, biologiste, partage avec lui l’amour de la musique classique et s’extasie devant Le Clavier bien tempéré. L’épouse, ancienne hôtesse de l’air, raconte ses voyages et ses regrets ; Shuo ne semble pas ennuyé. Wei, en revanche, commence à ressentir de la jalousie, et la rivalité entre les deux garçons s’installe, parfois sur des objets triviaux — excellente scène de dispute autour d’une lampe de chevet qu’ils allument et éteignent à tour de rôle.
Techniques, motifs et scènes marquantes
La mise en scène multiplie les images d’observation : les personnages sont fréquemment cadrés au milieu d’un cercle, comme examinés sous microscope. Le film use de ralentis, d’un duel où les parapluies remplacent les épées, d’un morceau de poisson coincé dans la gorge et d’un gâteau d’anniversaire constellé de gouttes de sang. Les repas, à la manière de certains films de Claude Chabrol, occupent une place centrale dans la dramaturgie.
Le cinéaste suggère plutôt qu’il n’affirme : Shuo est‑il un malheureux, un intrigant, un imposteur ? Le film se garde d’apporter une réponse nette, préférant les allusions et les silences. Les dialogues, souvent ponctués de points de suspension, entretiennent l’ambiguïté et le détachement, «le calme qui précède les tempêtes». Les détails — des élèves qui parlent d’Harry Potter, l’importance de la mondialisation — renforcent l’ancrage contemporain de l’histoire.
Thèmes sociaux et réception
Au cœur du récit se trouve la question des différences de classe et les tensions liées à l’entrée d’un inconnu dans un milieu qui n’est pas le sien. Le film aborde aussi «les ravages psychologiques créés par la politique de l’enfant unique». La représentation d’une Chine moderne, confortable et cultivée — préoccupée par les choix d’université de sa progéniture — traverse l’ensemble de l’œuvre.
La tonalité persiste après le générique : le spectateur sort du film avec les Variations Goldberg de Bach en tête. La critique du Figaro attribue au film la note suivante : 3/4.