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Chantal Akerman : Un Chef-d’Œuvre Oublié
Chaque mois, Les Inrockuptibles mettent en lumière une œuvre généralement oubliée ou méritant d’être redécouverte. Ce mois-ci, focus sur _Je, tu, il, elle_, le premier long métrage de la cinéaste belge Chantal Akerman, une œuvre moins emblématique que son célèbre film _Jeanne Dielman…_, mais tout aussi fascinante.
Un Film Réalisé avec Un Budget Modeste
Tourné en 1974 en seulement six jours et pour un budget dérisoire d’environ 7 000 euros actuels, soit moins de cinq Smic dans le programme du NFP, _Je, tu, il, elle_ est bien plus qu’un simple film à petit budget. C’est une œuvre d’art complexe, un véritable bijou d’une heure et vingt-six minutes qui marque le début de l’ascension d’une jeune cinéaste belge âgée de seulement 24 ans. Avec son court-métrage _Saute ma ville_ réalisé à 17 ans, Akerman a su s’imposer dans le paysage cinématographique.
Une Écriture Expérimentale
Cinquante ans après sa sortie, _Je, tu, il, elle_ demeure un ovni cinématographique. Sa réalisation affiche une esthétique résolument expérimentale, tout en conservant une force narrative indéniable, particulièrement pertinente dans les années 70, époque où les récits traditionnels sont souvent remis en question. Akerman filme comme si elle redécouvrait le cinéma, proposant une grammaire visuelle unique que l’on apprend à apprivoiser au fil du visionnage.
Faire le Vide
Les dix premières minutes du film montrent Chantal, la protagoniste, en proie à une rupture amoureuse, vidant son appartement de ses meubles. Cette action symbolise un processus de purification et de vide intérieur. Durant les trois premiers jours, elle compose une lettre d’amour de trois pages puis, sur les trois suivants, rédige une seconde lettre, identique à la première, mais cette fois en six pages. Ce rythme de création se double d’une petite obsession pour le sucre, qu’elle consomme avec une cuillère, créant un bruit de grain de sable, prélude à un bouleversement imminent dans sa vie.
Un Titre Évocateur
Dans _Je, tu, il, elle_, le nombre de personnages évoqués par le titre dépasse celui présent à l’écran. « Je » représente Chantal, se confrontant à son reflet ; « il » fait référence à un camionneur (interprété par Niels Arestrup) qui la prend en auto-stop, tandis que « elle » incarne la femme qu’elle aime, mais qui ne veut plus d’elle (jouée par Claire Wauthion). Ce prisme de pronoms souligne la solitude et les tensions inhérentes à ses relations.
Déliai et Sexualité
À travers sa narration, _Je, tu, il, elle_ explore les thèmes de la déliaison. Pour les esprits analytiques, on peut même y percevoir une forme d’opposition entre les sexes, voire une critique de la normativité. Les interactions sexuelles, à la fois avec le garçon et la fille, sont décrites sous des angles variés, allant de la tendresse à la brutalité. Akerman semble dépeindre un paysage relationnel où les corps se heurtent sans jamais vraiment se rencontrer, alimentant ainsi une tension permanente.
Restauration et Rétrospective
Le film _Je, tu, il, elle_ de Chantal Akerman (Bel., Fr., 1974, 1 h 26) sera projeté en salle à partir du 25 septembre, à l’occasion d’une rétrospective dédiée à cette grande figure du cinéma. Le coffret _Coffret Chantal Akerman_ (Capricci), comprenant 14 Blu-Ray et 46 films, sera également disponible à partir du 1er octobre.