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Le Festival de Cannes vu de l’intérieur : la réalisatrice de “La Petite Dernière” nous fait vivre les coulisses du palmarès, de l’attente fébrile avant la cérémonie jusqu’à la fête qui a suivi le prix d’interprétation de son actrice Nadia Melliti.
Les coulisses de Cannes
Un peu échauffée d’avoir trottiné en smoking dans les rues de Cannes en milieu d’après-midi sous un soleil tapant, Hafsia Herzi rejoint à la hâte l’équipe de La Petite Dernière assemblée sur le parvis de l’hôtel Marriott. Alexandra Henochsberg, la distributrice, gère avec autorité le flux des limousines qui doivent convoyer l’aréopage jusqu’au pied des marches du palais.
Julie Billy, l’une des productrices, s’affaire sur son portable pour organiser l’arrivée de la comédienne Nadia Melliti, qui vient d’atterrir à l’aéroport de Nice. Au cœur de cette petite troupe agitée, Hafsia se concentre en silence en songeant à un éventuel discours de remerciement.
C’est le samedi 24 mai. Huit jours après un premier séjour cannois pour présenter le film, l’équipe a été rappelée par le festival pour la cérémonie de clôture. Ils savent que le film figurera au palmarès, mais ignorent encore à quelle place.
Les attentes et les incertitudes
“Je vis à Nancy, c’est tellement long et compliqué d’arriver en train à Cannes que j’envisageais de m’avancer vers le Sud au cas où… Si le film n’avait rien, j’irais voir ma mère à Marseille”, raconte Hafsia. Elle a demandé à toutes les personnes déjà récompensées à quelle heure elles avaient été averties par l’organisation du festival qu’elles recevraient un prix. “Marie-Ange Luciani, productrice d’Anatomie d’une chute, Palme d’or 2023, l’a su à 10 heures du matin ! Personne parmi ceux que j’ai interrogés n’a été prévenu après 14 heures.”
À 15 heures, aucune nouvelle ne filtre. “Il faut dire qu’une énorme panne d’électricité paralysait Cannes. Toutes les personnes espérant un message du festival étaient rassemblées comme des réfugiés au bar du Majestic, l’hôtel bénéficiant de son propre générateur. Chacun était rivé sur son smartphone en train de chercher fébrilement de la connexion.”
La Queer Palm
Finalement, Hafsia est arrivée à Cannes la veille du palmarès officiel, car La Petite Dernière a reçu la Queer Palm. Le vendredi 23, vers 23 h 30, haut perché sur un rooftop, Christophe Honoré, président du jury entouré de ses membres, annonce : “Pour Fatima Daas, pour Nadia Melliti, pour Park Ji-Min, pour Hafsia Herzi… La Petite Dernière!”
Hafsia monte sur scène et explique l’importance que revêt pour elle ce prix décerné par un jury queer. “Je ne voulais pas que la communauté LGBTQIA+ se sente trahie par le film. C’est essentiel pour moi de me sentir validée par les personnes queer. J’étais vraiment trop fière de recevoir la Queer Palm.”
Une adaptation personnelle
L’adaptation du récit littéraire de Fatima Daas La Petite Dernière lui a été proposée par une de ses productrices. Les deux premiers films réalisés par Hafsia, Tu mérites un amour (2019) et Bonne Mère (2021), étaient des scénarios originaux inspirés de son vécu. Mais ce récit autobiographique d’une jeune femme qui apprend à vivre son homosexualité dans une tension avec son appartenance religieuse musulmane l’a touchée profondément.
“Oui, j’ai grandi avec des amis gays, des copines lesbiennes. La fréquentation de personnes queer a toujours fait partie de mon quotidien, même avant de faire du cinéma”, explique-t-elle. “Mais peut-être qu’avant de travailler sur l’adaptation, je ne mesurais pas la violence et l’omniprésence de l’homophobie.”
Le processus créatif
Pour préparer le film, Hafsia a beaucoup fréquenté les clubs lesbiens. “J’ai fait les 25 ans de la Barbi(e)turix, j’ai beaucoup fréquenté La Mutinerie, où est tournée une scène du film.” Elle a posé beaucoup de questions sur la sexualité, car elle avait peur que le film manque de justesse à cet endroit.
Concernant son rapport personnel à la religion, elle déclare : “Ma mère est très pratiquante. Mais elle ne nous a jamais imposé ses croyances. La religion n’a pas été une contrainte pour moi.”
Une cérémonie mémorable
Après que l’équipe a été répartie dans trois limousines, les voitures avancent doucement sur la Croisette jusqu’au pied des marches. L’attachée de presse, Monica Donati, prend le relais. Dans une tornade de flashs, elle organise l’ordre de passage. Hafsia avance lentement sur le tapis rouge, entourée de ses deux productrices et d’une partie de ses actrices.
Lors de la cérémonie, Laurent Lafitte lance le palmarès. “Comme on ne sait pas quel prix on aura, on espère que notre nom sera prononcé le plus tard possible.” Après l’annonce du prix d’interprétation féminine, Hafsia pleure de joie, heureuse pour Nadia Melliti.
Un avenir plein de promesses
À 20 ans, Hafsia a également reçu un prix d’interprétation à Venise pour La Graine et le mulet d’Abdellatif Kechiche. “Nadia a beaucoup mieux assuré que moi. C’est une sportive, elle a un mental très solide.”
Après la cérémonie, commence un marathon d’interviews et de photocalls, où Hafsia reçoit des centaines de messages de félicitations, témoignant de l’impact de son travail et de son engagement envers la représentation LGBTQIA+ dans le cinéma.
Projets futurs
Hafsia travaille actuellement sur une adaptation du roman de Leïla Slimani, Dans le jardin de l’ogre. Dans un coin de sa tête, elle envisage aussi une suite à La Petite Dernière, souhaitant retrouver et accompagner le personnage principal dans la continuité de son histoire.