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La poésie comme acte de résistance : le parcours de Mosab Abu Toha
Pour le jeune écrivain en exil aux États-Unis, la poésie représente une manière de documenter les spécificités d’une existence gazaouie, marquée par la guerre tout en étant sublimée par l’imaginaire. Né en 1992 au camp de réfugié·es d’Al-Shati, au nord de la bande de Gaza, Mosab Abu Toha a consacré sa vie à la lecture, au travail et à l’étude. Titulaire d’un diplôme en littérature anglaise, il est devenu enseignant et a fondé, en 2017, la première bibliothèque anglophone à Gaza, nommée bibliothèque Edward-Saïd. Par ailleurs, il a bénéficié d’une bourse pour passer plusieurs semestres à Harvard.
Ses écrits ont été publiés dans des revues prestigieuses telles que le New Yorker et la New York Review of Books. Cependant, après l’attaque terroriste du Hamas contre Entité sioniste le 7 octobre 2023, l’armée israélienne a commencé à bombarder sa ville natale. En novembre 2023, alors qu’il tentait de fuir Gaza avec sa femme et ses enfants par la frontière nord, il a été arrêté par la police israélienne.
L’exil forcé de Mosab Abu Toha
Son arrestation a suscité une mobilisation internationale de nombreuses associations d’écrivain·es. Après deux jours de détention durant lesquels il affirme avoir été battu, il a réussi à s’installer au Caire, où il a vécu jusqu’en juin dernier avant de se rendre aux États-Unis. Son premier recueil de poésie, prévu cette année en français, a été publié en 2022 durant son séjour en tant qu’auteur invité à l’université de Syracuse, à New York.
Mosab Abu Toha a commencé à écrire en 2014, alors qu’il avait 22 ans, en réponse à une offensive israélienne dans les territoires occupés. Dans un courriel adressé depuis son pays d’exil, il décrit comment naît un poème : “Un poème commence dans le silence, une pensée qui fait rage dans la tête de l’auteur jusqu’à ce que les images venues d’un territoire inconnu atterrissent sur la page.”
Gaza et la guerre perpétuelle
À travers ses poèmes, Abu Toha remet Gaza dans une perspective historique. Il témoigne d’une vie entièrement vécue sous une atmosphère de guerre constante. “Chaque poème que j’ai écrit est une scène qui s’est déroulée dans le passé et qui, malheureusement, continuera à se produire tant qu’il y aura l’occupation, tant que l’oppresseur continuera à écraser les habitants de Gaza,” explique-t-il.
Sur le plan littéraire, la poésie prend une nouvelle dimension chez lui. Elle devient un outil pour documenter l’Histoire, en mettant l’accent sur des moments invisibles dans l’actualité, tout en partageant avec ses lecteur·rices les sensations et les angoisses des habitant·es de Gaza.
Une représentation du quotidien et de la violence
Certains de ses textes, écrits en vers libres, décrivent la vie quotidienne des Gazaouis. Ces poèmes ramassent de petits fragments sur les enfants et les repas, ancrés dans des détails insignifiants mais révélateurs de l’anormalité de leur situation : “J’aimerais me réveiller un jour dans un monde sans coupures de courant.”
Sa poésie se veut également autobiographique, rendant hommage aux disparu·es, avec des images puissantes tels qu’une maison détruite, dont la clé rouillée est précieusement conservée par la famille : “se languit de la vieille porte en bois.” Un autre poème évoque les déplacements forcés : “Quand je suis parti, j’ai laissé mon enfance dans le tiroir.”
Une poésie documentaire puissante
Un poème touchant intitule “Où est mon pays” témoigne de la profondeur de son expérience : “Il est dans l’ombre des arbres sur le chemin de l’école avant qu’ils ne soient déracinés / Il est dans la photo en noir et blanc du mariage de mes grands-parents avant que les murs ne s’écroulent.” Sa poésie aborde aussi des thèmes politiques, comme dans son texte « Mon grand-père était un terroriste », qui dépeint la vie quotidienne d’un agriculteur sur ses terres.
Certaines œuvres décrivent des horreurs sans précédent, utilisant des images violemment évocatrices : “J’entre dans l’ambulance. Quelqu’un jette un cadavre près de moi. Le corps est brûlé, peut-être sans tête. Je ne regarde pas. L’odeur est atroce.” Ainsi, Abu Toha développe une forme de poésie-reportage qui documente un monde en profonde mutation.
Affirmer son humanité à travers l’écriture
Pour Mosab Abu Toha, écrire est un acte chargé de sens. “Écrire de la poésie est pour moi un acte d’existence, une affirmation de mon statut d’être humain qui a une histoire à raconter et des sentiments à partager,” déclare-t-il. Cela représente une résistance face à l’occupation et aux efforts d’effacement de son existence et celle de son peuple.
Pourquoi choisir la poésie plutôt que d’autres formes d’écriture ? “La poésie, contrairement à d’autres genres, est capable de présenter, en une seule ligne, à la fois les expériences et les émotions.” Interrogé sur l’état actuel de Gaza et ses contacts avec ses compatriotes, il répond : “L’ampleur des destructions à Gaza est inimaginable. Seul un poème peut la décrire.” Enfin, lorsqu’on lui demande ce qu’il trouve le plus insupportable, il confie : “Les choses que je découvrirai plus tard avoir perdues.”
Ce que vous trouverez caché dans mon oreille, de Mosab Abu Toha, Julliard, traduit de l’anglais (Palestine) par Ève de Dampierre-Noiray, 192 p., 20 € en librairie le 3 octobre.