Le roman dystopique féministe « Moi qui n’ai pas connu les hommes » de Jacqueline Harpman, initialement paru en 1995, connaît une résurgence inattendue en France grâce à une nouvelle édition. Ce retour s’inscrit dans une vague de popularité alimentée par les réseaux sociaux dans les pays anglophones, propulsant cette œuvre au rang de phénomène littéraire auprès des jeunes lectrices contemporaines.
Publié initialement par la Belge Jacqueline Harpman, ce roman dystopique féministe plonge dans un univers dépouillé où la narratrice évolue sans passé ni futur clairement définis. La narration, à la fois oppressante et déconcertante, explore une communauté de femmes privées de toute relation avec les hommes.
La réédition française par les éditions Stock intervient après que plusieurs éditions britanniques et américaines ont ravivé l’intérêt pour ce texte grâce à la viralité sur TikTok, Instagram et autres plateformes sociales.
Le supplément en ligne du New York Magazine, « The Cut », a salué l’œuvre en la comparant au monument du genre qu’est « La Servante écarlate » de Margaret Atwood, soulignant le caractère intemporel et poignant du récit.
Une quête d’identités féminines
Jacqueline Harpman, âgée de 66 ans lors de la publication de ce neuvième roman, bénéficiait déjà d’une réputation solide dans le monde littéraire. Psychanalyste bruxelloise, elle avait été finaliste du prix Femina à deux reprises et remporta le prix Médicis en 1996 avec « Orlanda ».
Depuis son décès en 2012, son œuvre fait l’objet d’études universitaires sur la construction des identités féminines en littérature, où elle est souvent associée à des auteures telles que Nina Bouraoui ou Marguerite Yourcenar.
Dans « Moi qui n’ai pas connu les hommes », le questionnement central porte sur l’identité et le lien social : comment vivre quand il est interdit de tisser des relations humaines ? Que devient une société où les hommes sont absents ? Ces thèmes, abordés avec un style classique et maîtrisé, traversent toute sa bibliographie.
La redécouverte du roman par le grand public anglophone trouve son origine en 2018 lorsque l’éditeur Vintage UK a décidé de rééditer le livre, d’abord traduit en 1997 sous le titre « The Mistress of Silence », puis en 2019 sous la forme révisée « I Who Have Never Known Men ». Cette nouvelle traduction, signée Ros Schwartz, modernise à la fois le texte et la couverture, qui a inspiré la récente édition française.
Une résonance contemporaine
Selon Raphaëlle Liebaert, éditrice chez Stock, le roman est devenu un succès après le confinement du printemps 2020. L’histoire de quarante femmes enfermées ensemble sans contact physique rappelle inévitablement les gestes barrières et la distanciation sociale imposés lors de la pandémie.
En 2022, l’éditeur américain Transit Books a également parié sur cette œuvre, qui rencontre un succès similaire aux États-Unis. La traductrice Ros Schwartz a confié au Guardian que cette nouvelle génération de lectrices semblait particulièrement touchée par le roman, contrairement à l’époque de sa première parution.
La réédition française est accompagnée d’une préface de Julia Malye, romancière de 31 ans, qui souligne que Jacqueline Harpman a écrit la trame du livre en une seule nuit et que le texte dépasse le cadre du féminisme pour devenir un manifeste humaniste.
Avec une trentaine de traductions internationales, cette œuvre rare en français connaît une reconnaissance mondiale inédite, comme le souligne Raphaëlle Liebaert, confirmant l’importance et la pérennité d’un roman dystopique féministe salué par plusieurs générations.