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Femmes locales en première ligne contre la poliomyélite au Nigeria

by Sara
Nigeria

Dans le quartier de Kado Lifecamp, en périphérie d’Abuja, Eucharia Joseph, 29 ans, serre une glacière contenant des vaccins oraux contre la poliomyélite emballés dans de la glace et part pour sa tournée quotidienne.

Son itinéraire longe des ruelles poussiéreuses, des maisons au toit de tôle, des mosquées et des églises. En fin de journée, elle et son équipe de six femmes auront vacciné des centaines d’enfants pour éviter que l’un d’eux ne reste sans protection.

La vaccination polio au Nigeria reste cruciale : même si l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré le pays exempt de poliovirus sauvage en 2020, des souches issues des vaccins (cVDPV) continuent de menacer des communautés sous-immunisées.

Campagne de vaccination contre la polio à Mararaba, Nigeria

Des femmes en première ligne

Les travailleuses de santé comme Joseph constituent l’épine dorsale de la riposte nigériane contre la poliomyélite. Dans de nombreuses communautés rurales ou conservatrices, les hommes ne sont pas autorisés à accéder aux foyers pour vacciner femmes et enfants.

Dans les zones touchées par les conflits, la présence d’hommes inconnus qui vont de maison en maison suscite souvent la méfiance et peut être perçue comme une menace.

« C’est mon don », confie Joseph en ajustant son foulard au soleil. « Je vais dans différents quartiers. Je parle aux mères. Je m’assois avec elles. Je sais comment les convaincre. » Cette capacité d’accès et de persuasion rend ces femmes indispensables à la vaccination polio Nigeria.

Accès, méfiance et rumeurs

Des régions comme l’État de Borno, épicentre de la rébellion de Boko Haram et fortement touchées par les poussées de poliomyélite, présentent des défis particuliers. Les vaccinateurs masculins y sont parfois soupçonnés de collusion avec les forces gouvernementales.

Les rumeurs sur les vaccins sont persistantes : certains pensent qu’ils empêchent d’avoir des enfants ou qu’ils font partie d’un complot occidental visant à stériliser la population.

Pour contrer ces croyances, les vaccinateures multiplient les visites répétées, les entretiens individuels et les discussions de groupe informelles afin de renforcer la confiance et d’expliquer la sécurité et l’efficacité des vaccins.

Aishatu, agente de santé communautaire à Maiduguri, résume la stratégie : « Nous augmentons la sensibilisation. Nous parlons aux mères, nous disons la vérité. Certaines acceptent lentement, d’autres après avoir vu des voisins se faire vacciner. »

Quartier de Kado, Abuja

Stratégies et innovations sur le terrain

Pour détecter les populations non atteintes, les équipes utilisent désormais le géoréférencement (GIS). Des mobilisatrices locales, souvent des femmes, surveillent les nouveau-nés et signalent les vaccinations manquées.

Les approches combinées comprennent :

  • des unités mobiles de santé et des campagnes porte-à-porte ;
  • des interventions en écoles, marchés, mosquées et églises ;
  • l’utilisation de cartes GIS pour repérer les localités oubliées.

« Nous allons dans les écoles, les marchés, les lieux de culte », explique Aminat Oketi, vaccinateure dans l’État de Nasarawa. « Parfois, nous vaccinons 150 voire 300 enfants par jour. Le travail est dur, mais voir un enfant protégé en vaut la peine. »

Campagne de vaccination dans une école à Kado

Retombées économiques et autonomisation

Le travail de vaccinateure est peu rémunéré : la plupart reçoivent environ 12 000 nairas (environ 8 dollars) pour une campagne de cinq jours, somme souvent absorbée par les frais de transport.

Face à cette réalité, de nombreuses femmes combinent leur rôle sanitaire avec de petites activités entrepreneuriales pour compléter leurs revenus.

Exemples concrets :

  • Aishatu vend des haricots pour subvenir aux besoins de sa famille ;
  • Aminat tient un commerce d’alimentation avicole et élève des volailles ;
  • D’autres créent des réseaux d’entraide pour conseiller les mères et coordonner les soins pédiatriques.

Selon Cristian Munduate, représentante pays de l’UNICEF, ces femmes « ne sont pas seulement des salariées ; elles sont des actrices du changement », gagnant en leadership, indépendance et crédibilité communautaire.

Un modèle pour la santé publique, malgré les défis

L’expérience nigériane illustre comment la vaccination polio au Nigeria a façonné un modèle capable de fonctionner dans des contextes fragiles : confiance communautaire, participation féminine et innovations techniques.

Les infrastructures mises en place pour la polio — chaînes du froid, systèmes de données, réseaux humains — soutiennent aujourd’hui la vaccination systématique, la santé maternelle et les réponses aux épidémies comme le choléra ou la COVID-19.

Mais des obstacles persistent :

  • insécurité dans le nord entravant l’accès ;
  • dissémination continue de la désinformation ;
  • besoins de renforcement des programmes d’immunisation de routine.

« Tant qu’un enfant n’a pas été atteint, le virus reste une menace », avertit Cristian Munduate. « Chaque cas paralytique peut cacher des milliers d’infections silencieuses. Il faut donc maintenir l’effort. »

Le reportage de cette enquête a été réalisé avec le soutien du Polio Press Fellowship de la UN Foundation.

source:https://www.aljazeera.com/features/2025/8/13/health-champions-local-women-lead-the-fight-against-polio-in-nigeria

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