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Des obus indiens détournés vers l’Ukraine : les enjeux de la sécurité et défense
NEW DELHI (Reuters) – Depuis plus d’un an, des obus indiens sont détournés vers l’Ukraine par des clients européens, une situation à laquelle New Delhi n’intervient pas malgré les protestations de la Russie, selon des sources indiennes et européennes ainsi que des statistiques douanières.
Les plaintes russes ignorées
Le Kremlin a exprimé ses préoccupations à au moins deux reprises, notamment lors d’une réunion en juillet dernier entre le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, et son homologue indien, Subrahmanyam Jaishankar, selon plusieurs sources gouvernementales à New Delhi. En principe, l’Inde impose des restrictions sur l’utilisation des armes qu’elle exporte, stipulant que l’acheteur déclaré doit respecter ces conditions, sous peine d’annulation des ventes futures en cas de transferts non autorisés.
Le démenti de New Delhi
En janvier, le porte-parole de la diplomatie indienne, Randhir Jaiswal, a affirmé lors d’une conférence de presse que New Delhi n’avait ni envoyé ni vendu d’obus à l’Ukraine, qui fait face à une grave pénurie de munitions. Toutefois, selon plusieurs sources gouvernementales et du secteur de la défense, les munitions indiennes utilisées par Kyiv ne représentent qu’une minorité, soit moins de 1 % du total des armements importés depuis le début de l’invasion russe en février 2022.
Relations avec l’Europe et implications géopolitiques
Parmi les pays impliqués figurent l’Italie et la République tchèque, cette dernière ayant lancé en mars une initiative pour acquérir des obus pour l’Ukraine en dehors de l’Union européenne. Les autorités indiennes surveillent la situation, mais n’ont pas pris de mesures pour interdire ces transferts. Les ministères de la Défense des pays concernés n’ont pas souhaité commenter cette affaire.
Malgré ces tensions, l’Inde continue de renforcer ses relations avec les États-Unis, principaux soutiens militaires de Kyiv, tout en préservant d’excellentes relations avec la Russie, son fournisseur d’armement principal. Le Premier ministre Narendra Modi a refusé de se joindre aux sanctions occidentales contre Moscou, qui fournit plus de 60 % des armes importées par l’Inde.
Une opportunité pour l’exportation d’armements
Bien que l’Inde soit le premier importateur mondial d’armements, elle voit dans la guerre en Ukraine une occasion d’accroître ses propres exportations. Selon des données de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), New Delhi a exporté plus de 3 milliards de dollars d’armements entre 2018 et 2023, un montant encore faible comparé à des pays comme les États-Unis ou la France.
Les chiffres des exportations indiennes
Lors d’une récente conférence de presse, le ministre de la Défense indien, Rajnath Singh, a annoncé que les exportations d’armements avaient atteint 2,5 milliards de dollars lors de la dernière année fiscale, avec un objectif fixé à 6 milliards d’ici 2029. D’après les statistiques douanières, les trois grands fabricants indiens d’obus n’ont exporté que 2,8 millions de dollars de composants vers l’Italie, la République tchèque, l’Espagne et la Slovénie avant l’invasion.
Entre février 2022 et juillet 2024, ces exportations ont atteint 135,25 millions de dollars, incluant des munitions prêtes à l’emploi. Yantra India, par exemple, a livré pour 35 millions de dollars de cylindres d’obus au groupe italien MES. Les deux sociétés n’ont pas répondu aux demandes de commentaires.
Un équilibre délicat
Pour Walter Ladwig, chercheur au King’s College de Londres, ces transferts, bien que limités, offrent à l’Inde un avantage géopolitique. Cela permet à New Delhi de démontrer à ses partenaires occidentaux qu’elle ne prend pas position aux côtés de la Russie dans le conflit russo-ukrainien, tout en conservant une marge de manœuvre vis-à-vis de Moscou.