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Ce matin, Christophe Bourseiller aimerait éveiller la nostalgie des hôtels mythiques. Il évoque le bâtiment historique ayant abrité le Morrison Hotel à Los Angeles, récemment détruit par les flammes. C’est un fragment de la culture beat qui s’évapore.
Une culture en voie de disparition
Que restera-t-il demain des demi-dieux aux yeux multicolores, tendant leurs guitares étincelantes vers un ciel parsemé d’éléphants roses volants ? Oui, j’adopte la poésie des hôtels modestes et pourtant fabuleux, ces établissements cultes que l’on pourrait qualifier d’« iconiques ». Avez-vous remarqué ? Le terme à la mode, qui devient finalement insupportable, est précisément « iconique ». Quand un chou-fleur devient iconique, cela m’inquiète.
Existe-t-il encore des hôtels mythiques ?
Tel Diogène errant dans Athènes avec une lampe allumée à midi, je les cherche en vain, ces hôtels mythiques. L’inflation, l’embourgeoisement, la gentrification et la boboïsation ont eu raison de ces lieux merveilleux, chargés de poésie. Prenez le célèbre Beat Hotel de la rue Git-Le-Cœur à Paris, qui a accueilli dans les années 1950 tous les grands écrivains de la Beat Generation, de William Burroughs à Allen Ginsberg. Il existe encore, mais quel est son sort ? Un palace anonyme pour touristes fortunés. Observez le Chelsea Hotel de New York, mentionné par Leonard Cohen. Autrefois, on y croisait de nombreux artistes qui y vivaient. On y rencontrait aussi Patti Smith et la génération punk, devenue No Wave. Mais le Chelsea s’est aussi transformé en palace embourgeoisé. Je ne parle même pas de l’Hôtel California, chanté par les Eagles en 1977. Il existe toujours, sous le nom véritable de Beverly Hills Hotel, mais quel changement ! C’est désormais l’un des hôtels les plus chics de Los Angeles, que plusieurs expatriés français ont baptisé « l’œuf en gelée ».
Un rêve qui s’évanouit
La poésie s’échappe. Près de deux mille hôtels indépendants en France ont disparu en huit ans. Rien que dans le Grand Ouest, on déplore la fermeture de quatre cent quatorze hôtels, entraînant la perte de sept mille six cent cinquante chambres. Ce qui meurt, c’est l’hôtellerie bohème, sympathique et désordonnée, celle dont parle Pascal Chapus dans Monument Valley.
Que reste-t-il ?
Ce nouveau monde semble fasciné par l’argent. Chacun admire, sans l’admettre, la richesse de l’autre. Quand on parle aujourd’hui d’un « hôtel de légende », on évoque non plus un petit hôtel de charme avec une forte personnalité, mais un palace cinq étoiles avec air conditionné, wifi intégré, home cinéma et chaîne haute-fidélité, dont la chambre la moins chère dépasse souvent les six cents euros par personne, petit déjeuner non compris. Les rêves en grosses coupures se trouvent désormais au Bristol, au Ritz, ou au Plaza Athénée à Paris, au Peninsula de Hong Kong, au Raffles de Singapour, au Métropole à Hanoï, au Pera Palace d’Istanbul, ou au Pierre à New York, pour n’en nommer que quelques-uns.
Il existe encore quelques rares pépites, comme le Gresham Palace de Budapest, demeurant magnifiquement miteux. Et n’oublions pas l’essor fascinant des hostels, ces auberges de jeunesse accueillant les moins jeunes. L’ambiance y est souvent folklorique. On y retrouve le charme débonnaire des excentriques. Surveillons les hostels, ils incarnent le renouveau de la dissidence, tout comme le « day use », qui propose à bas prix des siestes éventuellement coquines. Oh, bonheur !
L’appel à la renaissance
Hélas, c’est bien souvent la grisaille d’un monde binaire qui domine les âmes aujourd’hui. Alors, bande de bachi-bouzouks, rendons-nous les hôtels folkloriques, les palaces défraîchis et abordables, ces refuges où l’on peut discrètement se reconstruire, seul ou à deux, sacrebleu !