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Violence conjugale en Espagne : l’algorithme VioGén sous critique

by Sara
Espagne

En Espagne, le système algorithmique VioGén, utilisé pour évaluer le risque de violence conjugale, est aujourd’hui remis en question après le meurtre tragique de Lina, une femme jugée à « risque moyen » par cet outil. Cette affaire soulève d’importantes interrogations sur l’efficacité de ce dispositif censé protéger les victimes de violence domestique.

Le drame de Lina à Benalmádena

En janvier, Lina s’est rendue à la police de Benalmádena, station balnéaire espagnole, après que son ex-partenaire l’a menacée chez elle, levant la main comme pour la frapper. Selon Daniel, son cousin, « il y avait déjà eu des épisodes de violence – elle avait peur ».

Lors de sa plainte, Lina a été enregistrée dans VioGén, un outil numérique conçu pour évaluer le risque qu’une femme soit à nouveau agressée par le même homme. Ce système basé sur un algorithme pose 35 questions sur la nature et l’intensité des violences, l’accès de l’agresseur aux armes, son état mental, et sur la situation relationnelle de la victime.

L’algorithme classe le danger entre « négligeable », « faible », « moyen », « élevé » ou « extrême ». Cette classification sert à orienter les ressources policières pour la protection des victimes. Lina a été évaluée à un risque « moyen ».

Lina, assise dans un bateau devant la mer, portant un t-shirt jaune

Elle a demandé une ordonnance de protection auprès d’un tribunal spécialisé en violences de genre à Malaga, afin d’empêcher tout contact avec son ex-partenaire ou le partage du domicile, mais sa requête a été rejetée. « Lina voulait changer les serrures de sa maison pour pouvoir vivre paisiblement avec ses enfants », précise son cousin.

Trois semaines plus tard, Lina a été assassinée. Son ex-partenaire aurait utilisé sa clé pour entrer dans son appartement et y mettre le feu. Si ses enfants, sa mère et l’agresseur ont pu s’échapper, Lina est décédée dans l’incendie. Son fils de 11 ans a déclaré à la police que son père avait tué sa mère.

Le corps sans vie de Lina a été retrouvé dans les décombres. Son ex-partenaire, père de ses trois plus jeunes enfants, a été arrêté.

Des doutes sur la fiabilité de VioGén

La mort de Lina interroge désormais la fiabilité de VioGén et sa capacité réelle à protéger les femmes victimes de violence conjugale en Espagne.

Maison blanche barricadée avec ruban de police, hommages floraux à la porte

En tant que femme jugée à « risque moyen », Lina aurait dû faire l’objet d’une nouvelle évaluation policière dans un délai de 30 jours. Mais elle a été tuée avant. Si son niveau de risque avait été « élevé », un suivi policier aurait eu lieu en une semaine. Cette différence aurait-elle pu sauver Lina ?

En Europe et en Amérique du Nord, plusieurs outils d’évaluation du risque de récidive dans les violences domestiques sont utilisés, tels que le DARA ou le DASH au Royaume-Uni. Toutefois, seule l’Espagne intègre un algorithme aussi profondément dans la pratique policière. VioGén a été développé par la police espagnole en collaboration avec des universitaires et est déployé partout sauf au Pays basque et en Catalogne, qui disposent de systèmes propres, bien que la coopération policière soit nationale.

Inspectrice de police en uniforme regardant la caméra

Isabel Espejo, responsable de l’unité famille et femmes de la police nationale à Malaga, qualifie VioGén d’« essentiel ». Selon elle, l’algorithme permet un suivi précis des cas. Ses agents gèrent en moyenne dix signalements de violences de genre par jour et classent chaque mois neuf ou dix femmes à « risque extrême », nécessitant une protection policière 24h/24 jusqu’à ce que le danger diminue.

Une étude de 2014 montre que les policiers acceptent à 95 % l’évaluation de VioGén, mais certains critiques dénoncent une abdication du jugement humain au profit de l’algorithme.

Isabel Espejo reconnaît que l’algorithme peut parfois faillir, et admet qu’une erreur a pu être commise dans le cas de Lina, même si elle précise que le seul responsable du meurtre est l’agresseur lui-même et que la sécurité totale n’existe pas.

Le rôle de VioGén dans les décisions judiciaires

Pour un risque « moyen », Lina ne bénéficiait pas d’une priorité policière élevée. La question se pose aussi de l’influence de cette évaluation sur le refus du tribunal d’ordonner une protection.

Femme assise devant un ordinateur

Les autorités judiciaires ont refusé que la journaliste rencontre la juge ayant refusé l’ordonnance de protection, cette dernière ayant subi des attaques sur les réseaux sociaux après la mort de Lina. Une autre juge experte en violences de genre à Malaga, María del Carmen Gutiérrez, explique que l’ordonnance nécessite la preuve d’un crime et la menace d’un danger grave.

« VioGén est un élément parmi d’autres pour évaluer ce danger », précise-t-elle. Parfois, elle accorde une protection même si l’algorithme évalue le risque comme « faible » ou « négligeable », et parfois elle refuse malgré un risque « moyen » ou « élevé ».

Le criminologue Juan José Medina, de l’Université de Séville, dénonce une « loterie postale » : selon les régions, les chances d’obtenir une ordonnance de protection varient considérablement. Il souligne également l’absence de données systématiques sur l’usage de VioGén par la justice et la police.

Controverses et limites de VioGén

Affiche contre les violences de genre avec image d'une femme

Le ministère espagnol de l’Intérieur limite l’accès des chercheurs aux données de VioGén, et aucune audit indépendant n’a encore été réalisé sur l’algorithme.

Gemma Galdon, fondatrice d’Eticas, organisation spécialisée dans l’impact social et éthique des technologies, souligne que sans audit, il est impossible de savoir si le système protège efficacement les bonnes victimes.

Des biais algorithmiques ont été documentés à l’étranger. Par exemple, en 2016 aux États-Unis, un outil d’évaluation de récidive pénale surestimait le risque des accusés noirs et sous-estimait celui des accusés blancs.

En 2018, le ministère espagnol avait refusé une proposition d’Eticas pour un audit interne pro bono. Elle a donc réalisé un audit externe en s’appuyant sur des entretiens avec des survivantes et des données publiques, notamment judiciaires, concernant des femmes tuées après avoir signalé des abus.

Ce travail a montré que, entre 2003 et 2021, 71 femmes assassinées avaient auparavant déclaré des violences à la police et avaient été classées à risque « négligeable » ou « moyen » par VioGén.

« Nous aimerions savoir si ces erreurs sont inévitables, ou s’il est possible d’améliorer l’algorithme pour mieux protéger ces femmes », interroge Gemma Galdon.

Homme assis à un bureau devant un ordinateur

Juan José López-Ossorio, responsable de la recherche sur les violences de genre au ministère de l’Intérieur, minimise ces critiques, rappelant que l’étude d’Eticas n’a pas utilisé les données de VioGén et s’oppose à un audit externe qui pourrait compromettre la sécurité des victimes et les procédures du système.

Selon lui, « une fois qu’une femme dénonce un homme et bénéficie d’une protection policière, le risque de violence supplémentaire diminue fortement ».

Depuis sa mise en place, VioGén a été amélioré : le questionnaire a été affiné et la catégorie « négligeable » sera bientôt supprimée. Même ses détracteurs reconnaissent qu’un système normalisé de réponse aux violences de genre est nécessaire.

Une communauté en deuil

À Benalmádena, le domicile de Lina est devenu un lieu de recueillement. Des fleurs, des bougies et des images de saints ont été déposés sur le pas de la porte. Une affiche proclame : « Benalmádena dit non à la violence de genre ». La communauté a organisé une collecte pour les enfants de Lina.

Son cousin Daniel confie que la famille est profondément marquée par cette perte.

« La famille est détruite, surtout la mère de Lina. Elle a 82 ans. Il n’y a rien de plus triste que de voir sa fille tuée par un agresseur alors que cela aurait pu être évité. Les enfants sont encore sous le choc – ils auront besoin de beaucoup d’aide psychologique ».

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source:https://www.bbc.com/news/articles/clyw7g4zxwzo

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