Dans un environnement où la nature rude côtoie la richesse culturelle, le documentaire Matimekush dévoile une rencontre inattendue entre deux univers : celui des enfants innus et celui des enseignants issus de l’immigration à l’école secondaire Kanatamat, située dans la communauté innue de Matimekush, au Québec.
Le réalisateur Guillaume Sylvestre s’est intéressé à ces liens tissés dans un contexte où tout semble les opposer. Tout a commencé lors d’un tournage à Schefferville, une ancienne ville minière éloignée de plus de 700 kilomètres au nord de Sept-Îles. Là, il a surpris des interactions peu ordinaires : un homme africain en motoneige accompagné d’un Innu revenant de la chasse, un garçon marocain passant de l’arabe à l’innu en jouant au hockey avec sa sœur et d’autres jeunes de la communauté.
Intrigué, le cinéaste a découvert que la majorité des enseignants de cette école venaient d’Afrique. Ce contraste, loin d’être un obstacle, révèle un terrain fertile pour des échanges interculturels profonds, enrichissant à la fois les professeurs et les élèves.
Prendre le temps pour construire des liens
Guillaume Sylvestre a multiplié les visites, plus d’une dizaine, pour suivre pendant une année scolaire complète le quotidien des enseignants et des élèves de deuxième secondaire. Le documentaire montre les arrivées, les défis liés à l’adaptation culturelle, ainsi que le découragement face aux absences fréquentes, aux retards, aux insultes et au manque de motivation.
Le réalisateur exprime que « ces jeunes se sentent souvent abandonnés » et qu’à l’arrivée d’un nouvel enseignant, « ils testent, ils veulent te casser ». Cependant, les professeurs issus de l’immigration persévèrent davantage que leurs homologues allochtones, en grande partie parce qu’ils retrouvent chez les Innus des valeurs similaires à celles de certains pays africains, comme le communautarisme, l’animisme et une histoire marquée par le colonialisme.
Par exemple, Judeleine, enseignante haïtienne de français au passé lourd de traumatismes, illustre cette résilience. Pour elle, les provocations des élèves sont « de l’eau sur le dos d’un canard ». Un autre témoignage d’une enseignante expérimentée souligne l’importance de la patience : « Il faut deux, trois, quatre ans. Il faut persévérer. Il faut avaler beaucoup de couleuvres pour rester serein ici. »
Des échanges culturels sur le territoire ancestral
Au fil du récit, le documentaire montre comment les enseignants s’ouvrent aux élèves en partageant leurs histoires personnelles, marquées par des luttes contre l’oppression, le colonialisme et l’esclavage. Ces échanges dépassent la salle de classe, culminant lors d’une expédition hivernale sur le territoire innu.
Dans la chaleur d’une tente, les barrières tombent. Les jeunes s’illustrent dans des activités traditionnelles telles que la préparation de la bannique et le dépeçage du caribou, tandis que les enseignants savourent ces moments de joie et de complicité, visibles dans les regards brillants et les éclats de rire.
Le documentaire ne constitue pas une critique frontale du système d’éducation, mais il invite à la réflexion, notamment à travers les discussions internes du personnel. Le dilemme est posé : cette école, calquée sur un modèle normatif du Sud, fonctionne-t-elle vraiment ? Les résultats sont mitigés à l’intérieur de l’établissement, mais à l’extérieur, dans la nature, les jeunes se révèlent transformés.
Un des moments clés du film est la rencontre avec Conrad, professeur de culture innue. Guillaume Sylvestre le décrit comme un personnage profondément attaché à ses traditions, mais sans imposer de leçons. Son attitude fière et authentique incarne la richesse culturelle de cette communauté, apportant une dimension émouvante au film.