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Le calmar géant est l’une des créatures les plus insaisissables de la nature. Découvert pour la première fois il y a un siècle, il avait jusqu’à présent échappé à toute observation directe dans son habitat naturel.
Pour la toute première fois, des chercheurs de l’Institut Schmidt des Océans aux États-Unis ont réussi à filmer un calmar géant vivant, nommé Mesonychoteuthis hamiltoni, dans les profondeurs de l’océan.
Ce calmar, d’environ 30 centimètres de long lors du tournage, a été observé à 600 mètres de profondeur, près des îles Sandwich du Sud dans l’Atlantique Sud. À maturité, il peut atteindre entre 7 et 10 mètres de long et peser près d’une demi-tonne.
Catherine Bolstad, spécialiste des céphalopodes et professeure associée à l’Université de Technologie d’Auckland en Nouvelle-Zélande, déclare : « C’est la première fois que le calmar géant est filmé vivant dans son milieu, sans intervention chirurgicale, ni capturé ou mutilé dans un filet ». Elle ajoute : « Ces images sont inédites, compte tenu de la difficulté à filmer ces mystérieuses créatures dans leur habitat naturel ».
Premier aperçu vivant confirmé du calmar géant dans son habitat naturel depuis sa découverte en 1925 (Institut Schmidt des Océans)
Une découverte fortuite
En mars dernier, une équipe de scientifiques engagée dans un projet international de recensement des océans a capturé ces images lors d’une mission de 35 jours visant à explorer la vie marine dans une zone extrêmement éloignée. La station spatiale internationale, la présence humaine la plus proche, se trouvait à des centaines de kilomètres.
Leur navire de recherche, le Falkor de l’Institut Schmidt des Océans, a utilisé un sous-marin télécommandé pour observer ce mollusque lors du centenaire de sa découverte et de sa première classification scientifique.
« Lors de cette expédition, ils cherchaient de nouvelles espèces et habitats marins. Par hasard, ce petit calmar géant est apparu devant les caméras du sous-marin dans une eau noire profonde, émettant une bioluminescence naturelle. Reconnaissant sa beauté, ils ont interrompu leurs explorations pour le filmer quelques minutes », explique Bolstad.
Initialement, l’équipe n’était pas sûre de l’identité de la créature. La validation des images et la confirmation de l’espèce ont été faites en collaboration avec plusieurs experts, dont Bolstad. Elle souligne : « Nous avons ainsi obtenu les premières images confirmées d’un calmar géant effectuant des comportements naturels. C’est la première occasion de le voir vivant dans son environnement profond ».
Cent ans d’observations éparses
Le calmar géant a attiré l’attention scientifique en 1925, lorsque le biologiste marin James Eric Hamilton a découvert des fragments de l’animal, notamment deux bras, dans l’estomac d’un cachalot au large des îles Shetland en Écosse. Ces morceaux furent envoyés au British Museum de Londres et identifiés comme une nouvelle espèce la même année.
Depuis, aucun calmar géant n’avait été filmé vivant dans son milieu naturel, bien que Bolstad précise : « Nous avons confirmé leur présence en milieu naturel. Des images existent d’un adulte remontant à la surface, traquant des poissons-scies, une proie typique de ce calmar opportuniste ».
Au fil des décennies, ce mystérieux céphalopode a laissé des traces remarquables. Plusieurs spécimens adultes ont été photographiés agonisants par des pêcheurs, et des morceaux partiellement digérés ont été retrouvés dans des cachalots et autres prédateurs marins.
En 1981, un calmar géant d’environ 6 mètres a été accidentellement pris dans un filet d’un navire soviétique. Ce spécimen, mort rapidement, était encore en croissance. En 2003, un autre calmar géant mort, mesurant 6 mètres, a été découvert flottant au large de la Nouvelle-Zélande.
Des images d’un calmar géant vivant capturé brièvement en 2005 dans l’Atlantique Sud et d’un autre blessé en 2007 en mer de Ross, près de l’Antarctique, sont également connues. Ce dernier, mesurant environ 10 mètres, semblait adulte.
L’organisation de recherche Colossal a filmé des spécimens similaires en Antarctique entre 2023 et 2024, mais la faible résolution des images a empêché de différencier clairement les espèces.
La rareté des observations complique l’estimation de la population mondiale. En 2022, le Musée d’Histoire Naturelle de Londres soulignait que l’absence de données laisse le calmar géant suspendu entre mythe et réalité.
Pour comprendre sa vie, il fallait observer ce calmar en pleine plongée, mais les équipements habituels représentent un défi : ils émettent lumière et bruit qui effraient ces animaux sensibles.
Bolstad explique : « Beaucoup de nos instruments nécessitent une lumière intense et génèrent du bruit, ce qui effraie le calmar avant même que nous ne le repérions ».
Échantillons rares ont permis aux scientifiques de formuler des hypothèses sur ces grands invertébrés (Musée d’Histoire Naturelle, Londres)
Parmi les plus lourds invertébrés de la planète
Bien que les observations en milieu naturel restent rares, quelques spécimens presque complets ont permis aux chercheurs d’avancer des hypothèses solides.
Le corps entier le plus lourd d’un calmar adulte, exposé au musée Te Papa Tongarewa en Nouvelle-Zélande, pèse plus de 400 kilogrammes, faisant de cette espèce le plus lourd invertébré connu sur Terre. Les experts estiment que l’animal peut atteindre 7 à 10 mètres de long et peser jusqu’à 500 kilogrammes.
Bolstad commente : « On pourrait penser que c’est énorme, et il est amusant d’imaginer que nous avons à la fois un calmar géant et un petit. Mais en réalité, c’est ce que nous avons observé : une image magnifique d’un jeune calmar ».
Cette observation a conduit Bolstad, qui a analysé les images, à une conclusion surprenante : ce calmar pourrait être considéré comme un adolescent, présentant encore des traits juvéniles comme ses yeux acérés proéminents sur les côtés de sa tête.
Caractéristiques distinctives
Le calmar géant appartient à la famille des Cranchiidae, souvent appelé « calmar de verre » en raison de son apparence translucide. Bolstad explique : « Contrairement à la légende du Kraken, il ressemble plutôt à une magnifique sculpture de verre flottant dans l’eau ».
Parmi les 60 espèces connues de calmars de verre, le calmar géant est sans doute le plus mystérieux. Peu de choses sont connues sur sa biologie et son comportement. L’observation d’individus de tailles différentes permet toutefois de mieux comprendre son cycle de vie.
Les jeunes vivent à des profondeurs moyennes, dans une zone appelée la zone mésopélagique, caractérisée par une faible luminosité. En grandissant rapidement, ils descendent vers les grandes profondeurs, parfois à plusieurs kilomètres sous la surface.
Comme d’autres calmars de verre, il est souvent transparent, ce qui lui permet d’échapper aux prédateurs et aux proies potentielles. Cette transparence est rendue possible par des chromatophores, cellules pigmentaires qui changent de couleur et sont présentes chez d’autres calmars de verre.
Les parties opaques restantes, notamment ses énormes yeux, sont dissimulées par des organes photophores qui imitent la lumière ambiante pour tromper les prédateurs venant d’en dessous.
Bolstad précise : « La plupart de son corps peut passer de totalement transparent à complètement opaque, et il peut contrôler cette capacité localement selon les régions du corps ».
Une autre caractéristique notable est la présence de deux grandes grappes fixes de crochets au milieu de chacun de ses huit bras, tandis que deux tentacules plus longs possèdent des crochets entièrement rotatifs à leur extrémité.
Contrairement à ce que suggère son nom, le calmar géant n’est pas un prédateur dominant, même adulte. Cependant, les cicatrices laissées par ses crochets sur plusieurs cachalots et requins dormeurs témoignent de ses combats acharnés.
Il semble se nourrir de gros poissons vivant en zones subantarctiques, comme le merlu chilien, ainsi que d’autres calmars, à l’aide de ses tentacules uniques.
Ses yeux gigantesques, presque de la taille d’un ballon de football, lui permettent sans doute de détecter des prédateurs puissants en eaux profondes, comme les requins dormeurs ou les cachalots qui plongent profondément pour chasser.