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L’enlèvement de jeunes Africains en Russie : le cas du Sénégal
Le père de Malik Goup n’aurait jamais imaginé que le voyage de son fils en Russie pour étudier se terminerait par une vidéo choquante publiée sur les réseaux sociaux, montrant Malik en tant que prisonnier de l’armée ukrainienne sur le front de Donetsk.
Malik Goup est né en 2000 dans le village de Kér Madoumbé, dans la région de Kaffrine, au centre du Sénégal, situé à 260 kilomètres de Dakar. Élève brillant depuis son enfance, il a suivi une éducation dans des écoles coraniques avant d’intégrer le système scolaire français. Il a réussi avec succès ses examens du brevet et du baccalauréat.
Il a ensuite rejoint l’Université Alioune Diop à Bambey où il a étudié le droit, obtenant des résultats remarquables qui lui ont permis d’obtenir une bourse d’études pour la Russie.
À son arrivée en Russie, Malik a rencontré des obstacles liés à la reconnaissance de ses diplômes et a dû repartir ses études à zéro. Malgré cela, il a excellé à nouveau et reçu les éloges de ses professeurs russes.
Un clip vidéo montre Malik recevant une distinction de l’un de ses enseignants, ce qui a été une grande fierté pour sa famille au Sénégal.
Cependant, en février 2025, Malik a pris une décision surprenante : rejoindre l’armée russe. Son père, El Hadj Sitt Diop, relate avoir reçu un appel de son fils lui annonçant sa volonté d’intégrer les forces russes sous la pression des circonstances. « J’étais hésitant, je l’ai averti des risques, mais il a fini par me convaincre, alors j’ai accepté… Aujourd’hui, je regrette », confie-t-il.
Mi-mars, Malik a passé un dernier appel à son père pour l’avertir que ses communications seraient limitées en raison de son transfert dans une zone militaire. Peu après, ses nouvelles se sont interrompues, avant qu’une vidéo ne circule montrant Malik captif des forces ukrainiennes.
Son père déclare : « Mon fils est parti étudier, pas pour combattre dans une guerre qui ne le concerne pas ». Il ajoute : « Ce n’est plus une affaire familiale. C’est une question nationale sénégalaise, et nous appelons l’État à agir pour le ramener vivant. »
Un système de recrutement non déclaré
Le cas de Malik n’est pas isolé. Selon Khadim Coulibaly Inyan, un étudiant sénégalais à Saint-Pétersbourg, un système semi-secret cible les Africains résidant en Russie, notamment ceux en situation administrative précaire ou sans papiers.
Il explique : « Beaucoup sont recrutés volontairement ou sous menace, surtout à l’expiration de leurs visas. On leur propose un salaire mensuel d’environ 400 000 roubles (près de 2,9 millions de francs CFA) pour rejoindre l’armée. Certains doivent choisir entre le recrutement, l’expulsion forcée ou la prison. »
Il poursuit : « De nombreux décès parmi les jeunes de la communauté sénégalaise ont été enregistrés sans couverture médiatique ni réaction diplomatique. Nous avons un groupe WhatsApp où circulent noms et photos des disparus ou des morts. Malik n’est pas le premier, et il ne sera pas le dernier si le silence persiste. »
Un champ de bataille alternatif pour les migrants
Les Sénégalais ne sont pas les seuls concernés. En avril dernier, la presse togolaise a rapporté l’histoire de l’étudiant Dossé Koulékpatou, parti en Russie pour étudier la médecine, qui s’est retrouvé prisonnier et blessé en Ukraine après avoir été envoyé au front sans véritable soutien militaire russe.
Ces récits, qui se répètent dans le silence, soulignent l’urgence d’une intervention diplomatique et humanitaire. Il ne s’agit pas seulement de protéger l’image des pays africains, mais surtout la vie de leurs jeunes qui deviennent des pions dans des conflits qui ne les concernent pas.
Chiffres et alertes
Bobker Cissé, président de l’organisation « Vision Sans Frontières », exprime une profonde inquiétude après la capture de Malik Goup : « Depuis le début de cette guerre, plus de 2000 combattants étrangers ont été recensés dans la région du Donbass, dont 75 % combattent aux côtés des forces russes. »
Il ajoute : « Plus de 3000 étrangers ont obtenu la nationalité russe depuis début 2024 après avoir rejoint les combats. Ces jeunes sont trompés par de fausses promesses et risquent leur vie dans une guerre qui ne les concerne pas. »
L’organisation appelle les deux parties en conflit, la Russie et l’Ukraine, à libérer les combattants étrangers, notamment les Africains et les Sénégalais, afin d’alléger la souffrance de leurs familles.
Un cri de Kér Madoumbé
Dans le village de Kér Madoumbé, la mère de Malik refuse toujours de croire à la triste nouvelle, tandis que son père multiplie les apparitions médiatiques pour faire pression, alors que les appels à une enquête officielle et à un traitement en profondeur de ce dossier se multiplient.
Cette affaire dépasse désormais la tragédie d’une famille. Elle constitue un avertissement pour tout un pays et pour le système d’immigration et d’éducation qui conduit des jeunes sur des chemins dangereux, débutant avec l’espoir et se terminant par la capture, voire pire.