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Depuis plusieurs années, les États-Unis constituent un marché majeur pour Aditya Garodia, qui exporte plus de 100 types de produits dérivés de l’acier, notamment des fixations, depuis son usine située dans l’État du Bengale Occidental en Inde orientale.
Cependant, depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump et la mise en place d’une série de tarifs douaniers – 25 % sur l’acier et l’aluminium dans un premier temps, suivis par des taxes spécifiques sur certains pays – le climat économique mondial est marqué par une grande incertitude, impactant de nombreux secteurs industriels.
Aditya Garodia, directeur de Corona Steel Industry Pvt Ltd, a confié que ces taxes ont entraîné un ralentissement des commandes clients, avec des paiements souvent retardés d’environ un mois. Cette situation a généré une généralisation d’une attitude d’attentisme parmi les clients.
L’annonce par Donald Trump du doublement des tarifs à 50 % le 4 juin a été perçue comme un « coup fatal ». En effet, près de 30 % des commandes ont été annulées, rendant très difficile l’absorption de telles hausses par le marché.
La demande intérieure reste également faible, en raison de la concurrence des produits chinois moins coûteux. L’avenir des exportations indiennes dépend donc fortement de la capacité de l’Inde à négocier un tarif douanier plus bas que celui de ses concurrents.
En 2024, les exportations indiennes vers les États-Unis comprenaient pour 4,56 milliards de dollars de produits ferreux, d’acier et d’aluminium.
Des tarifs douaniers à visée politique
Lors de son premier mandat, Donald Trump avait imposé en 2018 des taxes de 25 % sur l’acier et de 10 % sur l’aluminium, invoquant des raisons de sécurité nationale selon la Section 232 du Trade Expansion Act de 1962. Certaines entreprises avaient alors pu échapper à ces tarifs, notamment celles produisant des biens finis.
Le 10 février 2025, Trump a étendu ces tarifs à 25 % sur l’acier, l’aluminium et leurs produits dérivés, supprimant toutes les exemptions précédentes.
Selon Ajay Srivastava, fondateur du Global Trade Research Initiative (GTRI), les tarifs de 2018 n’ont pas réussi à relancer l’industrie sidérurgique américaine. En effet, les importations d’acier ont augmenté, passant de 98,6 à 114 milliards de dollars en 2024, sans réduction notable ni augmentation de la production locale.
Les tarifs semblent avant tout être un outil politique, contribuant à maintenir des prix nettement plus élevés aux États-Unis qu’en Europe ou en Chine. Cela rend la production de voitures, de bâtiments et de machines plus coûteuse. Selon Srivastava, l’Inde doit désormais structurer une stratégie claire pour protéger ses intérêts commerciaux, négocier des accords équitables et renforcer sa production intérieure.
Les fonderies indiennes sous pression
Le 2 avril, dans le cadre des tarifs dits réciproques, Trump avait fixé un taux de 26 % pour les produits indiens. Ce taux a été suspendu neuf jours plus tard pour une durée de 90 jours, au profit d’un tarif de base de 10 % applicable à tous les pays, offrant un délai pour négocier des accords bilatéraux.
Pour les fonderies, où les métaux sont fondus et moulés, un tarif de 26 % reste insoutenable. L’Inde compte environ 5 000 fonderies, dont 400 travaillent pour les marchés domestique et international, et 100 exclusivement à l’export. De nombreuses micro, petites et moyennes entreprises (MPME) fournissent ces exportateurs en fer brut, ferraille et autres matériaux.
Ravi Sehgal, président du National Centre for Export Promotion (NCEP), précise que ces fonderies exportent pour environ 4 milliards de dollars au total, dont 1,2 milliard destinés aux États-Unis. La concurrence y est forte, non seulement avec les producteurs locaux, mais aussi avec les fournisseurs chinois et turcs.
Pour plus de 65 % des fonderies et leurs fournisseurs, qui sont des MPME, ces tarifs élevés signifient une baisse importante des commandes. Sehgal prévient qu’au-delà de 10-14 %, ces taxes menacent la survie même des entreprises.
Pradeep Kumar Madhogaria, partenaire chez Yashi Castings, fabricant de boîtes de moulage et de chariots-palette, rapporte que plusieurs projets liés à l’exportation ont été reportés ou abandonnés, en raison de l’incertitude pesant sur le marché américain.
Les petites entreprises face à la tourmente
Sumit Agarwal, fabricant de colliers et supports industriels à Kolkata, explique que son activité est lourdement affectée par les tarifs. Il envisage de réduire ses effectifs de 30 à 40 % parmi ses 15 employés.
« Nous sommes une petite unité. Les commandes se sont quasiment taries depuis l’instauration des tarifs, ce qui rend difficile le maintien du personnel. Les ventes sur le marché intérieur sont médiocres, et la chute des exportations aggrave la situation », confie-t-il.
Shyam Kumar Poddar, âgé de 70 ans, gère une petite entreprise de fabrication de tôles dans la même ville. Il a récemment investi environ 800 000 roupies (9 400 dollars) dans une presse hydraulique pour développer son activité, mais la chute des commandes l’a durement impacté.
« J’ai acheté la machine il y a quatre mois, mais il n’y a eu aucune commande ces deux derniers mois », déplore-t-il. Il souligne également la forte concurrence sur le marché intérieur et la dépendance aux exportateurs, qui sont eux-mêmes affectés par cette situation.
Pankaj Chadha, président du Engineering Export Promotion Council of India (EEPC), recommande la diversification vers des pays comme le Pérou ou le Chili, qui pourraient ensuite exporter leurs produits finis vers les États-Unis. Selon lui, cette stratégie est indispensable, car il est impossible de faire des affaires sous des tarifs aussi élevés.
Alors que la période de grâce de 90 jours sur les tarifs approche de son terme, le montant final reste indéterminé, car les négociations entre l’Inde et les États-Unis ne sont pas encore conclues.
Piyush Goyal, ministre indien du Commerce et de l’Industrie, a déclaré que l’Inde était prête à conclure un accord commercial, mais que « l’intérêt national restera toujours la priorité » et que la négociation ne serait pas dictée par des délais.
En attendant, Aditya Garodia espère une résolution rapide : « Aucune industrie ne peut survivre en isolation », souligne-t-il, rappelant que les États-Unis font face à des problèmes tels que la pénurie de main-d’œuvre et les coûts élevés de production. L’Inde, avec sa main-d’œuvre bon marché et ses coûts de production réduits, peut offrir une alternative intéressante.