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Une nouvelle enquête a été ouverte par le parquet d’Ankara contre Özgür Özel, chef du Parti républicain du peuple (CHP), principal parti d’opposition en Turquie. Cette procédure fait suite à des déclarations faites par Özel après l’arrestation de plusieurs maires affiliés à son parti. Ses propos comportaient des accusations envers le gouvernement et un appel à des élections anticipées.
Le parquet a indiqué dans un communiqué que les déclarations d’Özel lors de la conférence de presse qui a suivi la réunion du comité exécutif du CHP le 5 juillet inculpaient « l’insulte au président de la République, Recep Tayyip Erdoğan, l’incitation publique à commettre un crime, ainsi que l’insulte et la menace à des responsables gouvernementaux ».
Özgür Özel a notamment déclaré : « Si vous êtes le premier parti, prouvez-le dans les urnes, n’ayez pas peur. » Il a également défié le gouvernement en appelant à l’adoption d’une loi permettant d’enquêter sur les biens des hauts responsables des dix dernières années. Cette proposition a suscité de vives réactions dans le paysage politique turc.
Une série de poursuites judiciaires
Ce nouvel examen judiciaire s’inscrit dans une série de procédures engagées contre Özel depuis sa prise de fonction à la tête du CHP :
- En juin dernier, une autre enquête a été ouverte pour « insulte au procureur général d’Istanbul » et menaces envers le système judiciaire lors d’un rassemblement populaire.
- En novembre, le président Erdoğan a intenté un procès pour « insulte publique au président » et « atteinte à la réputation et à l’honneur du poste présidentiel ».
- En février, une action judiciaire contestait l’élection d’Özel à la tête du parti, l’accusant d’avoir acheté des voix lors du congrès du CHP en novembre 2023.
- Par ailleurs, les avocats du président ont réclamé un dédommagement de 500 000 lires turques (environ 12 500 dollars) pour « atteinte à la réputation du chef de l’État ».
Des sources médiatiques turques rapportent qu’une procédure pourrait prochainement être lancée au Parlement pour lever l’immunité parlementaire d’Özel, ouvrant la voie à son procès pour « insulte à un fonctionnaire public ».
Contexte politique tendu
Cette escalade judiciaire se produit dans un climat politique très tendu. Au début du mois, trois maires du CHP d’Adana, Antalya et Adıyaman ont été arrêtés pour des accusations de corruption. Ces arrestations ont provoqué un vif débat :
- Les partisans des actions gouvernementales les considèrent comme une « mesure de protection des deniers publics ».
- Les opposants y voient une « campagne de répression contre le parti d’opposition ».
La réaction de l’opposition a été immédiate. Elle dénonce ces mesures comme une attaque contre la pluralité politique et la liberté d’expression, soulignant qu’il s’agit d’une nouvelle étape dans une campagne continue visant le CHP et ses dirigeants.
Deniz Yücel, porte-parole du CHP, a qualifié ces démarches de « nouveau chapitre dans une campagne systématique contre le parti et sa direction ». Selon l’opposition, ces actions s’inscrivent dans une dynamique lancée après l’arrestation du maire d’Istanbul, Ekrem İmamoğlu, en mars dernier, qui avait provoqué de larges manifestations et une dégradation de la situation économique.
La défense du gouvernement
Le Parti de la justice et du développement (AKP), au pouvoir, a justifié ces procédures. Il affirme qu’elles visent à « protéger la dignité de l’État et la fonction présidentielle ». Omar Çelik, porte-parole du parti, a critiqué les déclarations d’Özel, les qualifiant d’« expressions grossières et immorales », et assuré que l’AKP « défendra avec force toute atteinte au président de la République et aux institutions de l’État ».
Recep Tayyip Erdoğan cherche à préserver la dignité des institutions de l’État par le biais du système judiciaire, selon des analystes (Anadolu)
Un tournant politique majeur
Le dossier a pris un nouveau tournant avec son transfert au Parlement turc. Une demande de levée de l’immunité parlementaire d’Özgür Özel a été soumise au bureau du Parlement pour formation d’une commission chargée de fixer une date d’examen.
Pour être validée, cette levée nécessite l’appui d’au moins 360 députés, ce qui ouvrirait la voie à un procès. En fonction des accusations, Özel pourrait encourir une peine de prison selon la législation turque.
Cette évolution intervient dans un contexte de montée des tensions politiques après que Özel a appelé à des élections présidentielles anticipées, initiative perçue comme une pression sur le gouvernement.
Le président Erdoğan a mis fin aux spéculations en affirmant, lors d’un discours devant le groupe parlementaire de l’AKP, que les élections présidentielle et législatives auront lieu comme prévu en 2028, et les élections locales en 2029.
Il a déclaré : « Le chef du CHP répète depuis un certain temps le mot ‘élections’, mais je lui rappelle que la Constitution et la loi électorale n’ont pas changé. Les élections présidentielles et parlementaires se tiendront en 2028, et les locales en 2029. »
Analyse politique
Omar Avşar, analyste politique, estime que la levée de l’immunité d’Özel est possible mais pas encore certaine. Il souligne que cette décision dépend davantage de calculs politiques que de considérations purement juridiques.
Selon lui :
- Le parti au pouvoir, AKP, et son allié, le Parti du mouvement nationaliste, disposent d’une majorité confortable au Parlement.
- Des partis minoritaires, comme le HDP, favorables au gouvernement dans certaines questions liées à l’État, pourraient aussi soutenir cette démarche.
Cependant, Avşar met en garde contre les réactions internes et internationales que pourrait susciter une telle mesure. La levée d’immunité du leader de la principale opposition serait perçue comme un acte d’escalade politique, provoquant une confrontation ouverte entre gouvernement et opposition, tout en attirant des critiques sur le respect des libertés politiques.
Une situation intérieure confuse
Une chercheuse en sciences politiques de l’Université d’Anatolie qualifie les récents événements entre Erdoğan et Özel de début d’un processus judiciaire clair et délimité.
Elle évoque que les rencontres des deux parties en mai et juin derniers avaient suscité des spéculations sur une possible détente politique entre les principaux partis en Turquie. Cependant, le retour d’Özel sur le devant de la scène politique a créé, selon elle, une certaine confusion au sein du parti au pouvoir, même si celle-ci n’est pas exprimée de manière ouverte.
La chercheuse questionne si les actions ciblant les maires affiliés au CHP font partie de ce qu’elle qualifie de « politique en zigzag » d’Erdoğan. Cette stratégie viserait à diviser l’opposition en interne, surprendre ses adversaires et, surtout, réaffirmer l’agenda de l’AKP auprès de l’opinion publique, afin de restaurer la confiance populaire dans le parti gouvernemental.
Elle considère que les poursuites contre Özel jouent un rôle clé dans la gestion de l’opinion publique. Le gouvernement cherche à faire passer le message qu’il agit dans le cadre de la loi contre les menaces politiques, renforçant ainsi la confiance envers l’AKP.
Enfin, cette démarche représenterait aussi un effort d’Erdoğan pour protéger la dignité de la présidence et préserver la stature des institutions étatiques via la voie judiciaire.