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Les Mane et Maubert : Sagas familiales de la parfumerie à Grasse

by Sara
France

Sous la voûte du Grand Palais, le 13 janvier, Jean Mane est monté sur scène bras dessus, bras dessous avec sa fille Samantha pour recevoir le BFM Award de la transmission familiale ; moment symbolique de la reprise générationnelle au sommet d’un secteur clé : la parfumerie. À 40 ans, Samantha prend la tête du groupe Mane, un empire des fragrances et des arômes alimentaires réalisant 1,9 milliard d’euros de chiffre d’affaires. À quelques kilomètres, Robertet, fleuron grassois, fête 175 ans et affiche 808 millions d’euros de ventes annuelles : deux sagas familiales qui conjuguent tradition, innovation et enjeux d’indépendance.

À Grasse, deux sagas familiales de la parfumerie

Jean Mane, qui dirigeait le groupe depuis trente ans, l’avoue lui‑même : « croître et transmettre » a été son obsession. En public il se tourne vers sa fille : « Voilà, c’est fait. » Samantha, cinquième génération à piloter la société 100 % familiale et indépendante, a rejoint l’entreprise en 2007, dirigé la région Europe, Moyen‑Orient et Afrique en 2016, et prend désormais la présidence du groupe familial fondé en 1871 et installé au Bar‑sur‑Loup, dans les Alpes‑Maritimes.

À une dizaine de kilomètres de là, Julien Maubert, 39 ans, incarne lui aussi la cinquième génération chez Robertet. Il gère la division des matières premières d’un groupe qui revendique 808 millions d’euros de chiffre d’affaires et un héritage industriel ancré à Grasse. « On chambre un peu nos voisins du Bar‑sur‑Loup en disant qu’on est LE Grassois », plaisante‑t‑il, avant de préciser plus sérieusement : « Lorsque j’ai félicité Samantha, je lui ai dit qu’on avait fait des choix différents mais que j’étais convaincu du succès des deux modèles. »

Les choix évoqués tiennent à la gouvernance : Robertet a confié la direction générale à un manager extérieur à la famille. En 2022, Philippe Maubert, patriarche aux commandes depuis 1993, a passé les rênes à Jérôme Bruhat, venu de L’Oréal, tout en conservant la présidence. Chez Mane, la transmission reste intégralement familiale, avec plusieurs membres de la cinquième génération présents dans les filiales — notamment aux États‑Unis, au service informatique et au centre de recherche — et d’autres souvent proches, même s’ils n’occupent pas de fonctions opérationnelles.

Succession, capital et indépendance

Les transmissions familiales sont au cœur de la pérennité de ces entreprises. « Chaque succession est cruciale, » rappelle Christine Blondel, spécialiste des entreprises familiales et professeure à l’Insead. « Et peut échouer, quelle que soit la génération. » En France, seulement 22 % des entreprises sont transmises au sein de la même famille, contre 80 % en Italie, souligne‑t‑elle : d’où l’importance, selon elle, de « mettre le sujet sur la table », comme l’ont fait les Mane.

« Pouvoir échanger avec une personnalité emblématique comme lui, c’est assez unique », s’enthousiasme Théophane Courau, coprésident de l’antenne Méditerranée du réseau Family Business Network (FBN), à propos de Jean Mane.

Les familles Mane et Maubert ont connu des épisodes difficiles. Chez les Mane, la succession de 1959 est passée par le tribunal de commerce pour fixer la valeur des parts qu’une branche rachetait à l’autre. Pour Robertet, après le rachat par le grand‑père Jean en 1961, la famille s’aperçoit qu’elle détient « un peu moins de 12 % du capital », raconte Julien Maubert. La reconquête de l’indépendance passe par une introduction en Bourse en 1984.

En 2019, l’entrée au capital de Robertet de deux géants concurrents, Firmenich puis Givaudan, inquiète la famille : ensemble ils détenaient 25 % du capital, qualifié de « tentative de déstabilisation de la famille ». La solution est trouvée fin 2024 avec un montage faisant entrer au capital le Fonds stratégique de participations et un fonds de la famille Peugeot. « Il y a des valeurs qui résonnent entre les deux, » confirme Sébastien Coquard, directeur général adjoint de Peugeot Invest. Aujourd’hui, la holding familiale Maubert SA et la famille détiennent ensemble environ 40 % du capital et plus de 60 % des droits de vote de Robertet.

Innovation, implication familiale et perspectives opérationnelles

Préserver le patrimoine familial passe aussi par la croissance, l’innovation et l’internationalisation. « L’indépendance se préserve par une croissance durable qui permet de maintenir l’emploi et continuer à assurer le développement de l’entreprise en investissant et en innovant, » résume Samantha Mane.

Chez Robertet, la nomination d’un directeur général extérieur répond à une logique similaire : « Toute l’idée était de se dire que si demain on veut faire 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires, la manière dont nous sommes organisés n’est peut‑être plus adaptée, » explique Jérôme Bruhat. Les rôles sont redéfinis entre le président du conseil d’administration, la présidente de Maubert SA (sœur de Philippe) et le directeur général. La famille reste toutefois présente à des postes clés : Julien et deux oncles œuvrent en parfumerie et innovation, des cousins sont impliqués, et le frère de Julien, Georges, vient d’entrer au conseil d’administration après avoir lancé sa propre marque de parfum.

Pour Samantha Mane, l’engagement collectif des héritiers est central : « En 2023, la quatrième génération nous a annoncé par courrier qu’elle avait décidé de se retirer de l’opérationnel. Tous ensemble, les huit de la cinquième génération, nous avons répondu que nous souhaitions continuer en toute indépendance. » Convaincue de l’importance de l’actionnariat familial pour la pérennité, elle nourrit l’ambition, sans la détailler, de voir un jour son groupe rejoindre les rangs des entreprises bicentenaires.

source:https://www.challenges.fr/entreprise/les-mane-et-les-maubert-deux-sagas-familiales-xxl-au-parfum-deternite-au-coeur-du-pays-de-grasse_618309

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