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Ghana et l’Afrique de l’Ouest face aux expulsions américaines : enjeux et fractures

by Sara
Ghana, Afrique de l’Ouest

Accra a accepté d’accueillir des ressortissants ouest-africains expulsés des États-Unis, une décision assumée au nom de la libre circulation régionale au sein de la Cedeao. Si ce choix est perçu comme une démonstration de solidarité régionale, il suscite aussi des interrogations et des réserves chez certains voisins et observateurs, alors que la sous-région traverse une période de tensions politiques et migratoires sans précédent.

Accra accepte d’accueillir des ressortissants ouest-africains expulsés

Photo illustrant le président ghanéen s’adressant à la presse
Le président ghanéen John Dramani Mahama lors d'une conférence de presse

Le Ghana a officiellement accepté d’accueillir des ressortissants ouest-africains expulsés par les États-Unis. Un choix assumé par le président ghanéen, John Dramani Mahama, au nom de la libre circulation régionale, mais qui provoque des interrogations dans la presse locale et une prudence mesurée chez les partenaires de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao).

Quatorze personnes – dont des Nigérians et un Gambien – ont déjà atterri à l’aéroport international Kotoka d’Accra, avant d’être redirigées vers leurs pays d’origine. Cette situation met en lumière les tensions qui entourent les expulsions et les mécanismes de relogement dans une région où la coopération est présentée comme une nécessité.

La justification régionale d’Accra

Pour John Mahama, la décision s’inscrit dans le cadre de la Cedeao, qui garantit la libre circulation des citoyens des quinze États membres. Le président ghanéen insiste : « Nous avons été approchés par les États-Unis et nous avons convenu d’accepter les ressortissants ouest-africains, car la région est déjà ouverte à tous. »

Cet argument, replacé dans un contexte d’intégration régionale, est salué par une partie de la presse. Le Daily Graphic souligne que « le Ghana se conforme à l’esprit de la Cedeao », mais met en garde contre une possible pression croissante des États-Unis pour transformer Accra en une plateforme de transit. Le Ghanaian Times évoque, lui, « un choix stratégique risqué », soulignant que « ces expulsions ne sont pas toujours transparentes quant aux profils des migrants ».

  • La politique s’inscrit dans une logique régionale, mais peut avoir des répercussions sur les équilibres internes.
  • La presse locale pointe les risques d’une normalisation de l’externalisation des expulsions.

Une sous-région sous tension

Les voisins du Ghana observent cette coopération avec prudence et sans la commenter ouvertement, consciente des enjeux politiques. La sous-région est en crise depuis le départ du Mali, du Burkina Faso et du Niger, marquée par des tensions et une défiance entre États membres.

Parallèlement, la pression migratoire est sans précédent: conflits et répressions au Sahel poussent des dizaines de milliers de réfugiés vers les pays côtiers comme la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Bénin ou le Togo. Les services publics d’accueil, déjà fragiles, peinent à suivre. Le Ghana doit aussi gérer des tensions internes entre populations Konkomba, Nanumba et Mamprusi dans le Nord et le Nord-Est, qui mettent à l’épreuve la cohésion nationale.

Cette conjoncture nourrit l’inquiétude selon laquelle la Cedeao pourrait devenir une zone tampon migratoire pour les États-Unis, au détriment des équilibres internes déjà fragiles.

Les critiques venues de Lagos

Au Nigeria, le ton est plus direct. The Guardian rappelle que le pays reçoit déjà un flux important de rapatriés depuis la Libye et d’autres pays d’Afrique du Nord, et que l’accord du Ghana risque de « normaliser une externalisation américaine des expulsions ». Premium Times ajoute que « le problème n’est pas seulement la libre circulation, mais la responsabilité des États-Unis dans le sort de personnes souvent vulnérables ».

La stratégie Trump exportée en Afrique

Cette décision s’inscrit dans un contexte marqué par l’inflexibilité américaine. Depuis son retour à la Maison-Blanche, Donald Trump a intensifié les expulsions de migrants en situation irrégulière, y compris des transferts vers des « pays tiers ». Après des envois vers le Panama, le Salvador ou le Soudan du Sud, plusieurs États africains ont été sollicités. En juillet, cinq migrants ont été renvoyés en Eswatini, huit au Soudan du Sud. En août, le Rwanda a accepté sept déportés et s’est engagé à en accueillir jusqu’à 250. Kigali précise que « seuls les candidats répondant aux critères légaux seront admis », tout en garantissant formation professionnelle, hébergement et accès à la santé, transformant ainsi un dossier sensible en vitrine diplomatique.

Le Ghana rejoint cette dynamique, bien que Mahama rappelle que son geste reste limité aux ressortissants ouest-africains « pour respecter l’esprit communautaire ». Dans plusieurs cas, certains migrants n’ont aucun lien avec le pays d’accueil et, après leur expulsion, se retrouvent parfois incarcérés dans des lieux opaques. Ce système de « déportations par pays tiers », pratiqué discrètement, inquiète les organisations de défense des droits humains qui dénoncent une « double peine ».

Entre partenariat et dépendance

Ce jeu à multiples vitesses illustre la complexité des rapports Afrique-États-Unis. D’un côté, des accords formalisés comme celui du Ghana reposent sur une logique régionale; de l’autre, des pratiques bilatérales qui déplacent le problème sans offrir de garanties juridiques suffisantes.

La presse ghanéenne appelle à « maintenir un équilibre entre coopération internationale et souveraineté nationale ». Au-delà de la rhétorique, le risque demeure de voir Accra piégée dans un engrenage où l’intérêt des États-Unis primerait sur les capacités d’accueil locales.

Une fracture africaine

À travers le continent, ces expulsions révèlent une Afrique profondément marquée par des divisions et des fragilités structurelles. Le geste d’Accra peut être interprété comme un test de crédibilité pour la Cedeao et pour l’image de l’Afrique de l’Ouest face aux grandes puissances. La manière dont la région gérera ce dossier fera écho sur le plan diplomatique et migratoire pour les années à venir.

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