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Pour les téléspectateurs et internautes, les débats du procès Jubillar resteront invisibles en image directe : on ne verra ni le regard de l’accusé, ni les visages des parties civiles, ni n’entendra les magistrats ou les avocats. « Les dessinateurs sont nos yeux dans des audiences que les reporters d’images n’ont pas le droit de filmer », explique Noémie Schulz, journaliste spécialiste police‑justice à franceinfo. Cette situation trouve son origine dans l’histoire et la législation française. Jusqu’au milieu du XXe siècle, photographes et caméramans pouvaient assister et prendre des clichés lors de procès très médiatiques. Mais des pratiques jugées intrusives ont conduit le Parlement à changer la loi : aujourd’hui, l’accès des photographes et des journalistes‑reporters d’images aux salles d’audience est en large partie interdit, et seuls les dessinateurs d’audience peuvent restituer visuellement les débats. Il existe toutefois des exceptions. « Il peut y avoir des exceptions au tout début du procès. Parfois, le président ou la présidente de la cour d’assises autorisent les prises de vues avant que les débats ne soient ouverts », précise Noémie Schulz. Ces prises de vues limitées peuvent concerner la cour, les magistrats à l’entrée, certains scellés et parfois l’accusé si celui‑ci y consent. Des grands procès ont été filmés dans des conditions strictes. Robert Badinter, alors garde des Sceaux, a permis l’enregistrement de procès historiques comme ceux de Maurice Papon ou de Klaus Barbie avec des caméras fixes et des règles de captation très encadrées. Plus récemment, des audiences liées aux attentats du 13 novembre 2015 ont été enregistrées. La loi a encore évolué : en 2022, le garde des Sceaux Éric Dupond‑Moretti a souhaité étendre la captation à des audiences du quotidien pour « faire la pédagogie de la justice ». Ces captations ne concernent que des affaires définitivement jugées et font l’objet d’un travail journalistique de montage, selon Noémie Schulz. Les dessinateurs d’audience peuvent être journalistes, artistes formés au dessin ou dessinateurs de presse. Noémie Schulz cite « le dessinateur Riss, de Charlie Hebdo », comme exemple de journaliste‑dessinateur qui suit régulièrement des procès. Elisabeth De Pourquery, journaliste et dessinatrice à France Télévisions, raconte son parcours mêlant école de journalisme et formations artistiques avant de se consacrer au dessin d’audience. Le dessinateur restitue visuellement des scènes marquantes : un échange violent entre avocats, un témoin en larmes, ou l’expression d’un accusé. « De la même manière que moi, en tant que journaliste, je vais pouvoir raconter tout ce que je vois. Il n’est pas interdit en théorie de dessiner les jurés, alors que nous ne pouvons absolument pas les filmer ou les photographier », dit Noémie Schulz. Les dessinateurs prennent toutefois des précautions lorsque des personnes demandent à ne pas apparaître ou lorsque des mineurs sont impliqués. Le dessin d’audience implique une part de subjectivité. « C’est l’interprétation du dessinateur, qui va peut‑être accentuer un regard et peut même aller jusqu’à la caricature », reconnaît Noémie Schulz, en soulignant que tous les récits journalistiques comportent une part de biais narratif. Le choix de la scène à illustrer correspond souvent à l’instant jugé le plus marquant de la journée d’audience. Pour Elisabeth De Pourquery, le dessin d’audience reste avant tout une activité artistique qui doit rendre compte de ce qui est vu : « C’est sa vision subjective qui lui donne de la valeur contrairement à un journaliste reporter à qui l’on apprend à être le plus objectif possible. » Elle insiste sur l’importance de la ressemblance pour permettre au téléspectateur d’identifier des personnalités publiques, et sur la nécessité de relations de confiance avec magistrats et avocats. En dehors de la salle d’audience, les journalistes peuvent filmer dans la salle des pas perdus ou à l’entrée et à la sortie des protagonistes, dans le respect du droit à l’image. « Nous ne pouvons pas filmer quelqu’un qui ne souhaite pas être filmé », rappelle Noémie Schulz. Les points de duplex installés dans ces espaces permettent de raconter le procès tout en respectant ces contraintes. Sur la retransmission en direct, Noémie Schulz est catégorique : « Retransmettre en direct un procès, c’est une très mauvaise idée. » Elle évoque l’exemple américain du procès Depp/Heard et la vague de haine sur les réseaux sociaux, pour souligner le risque que la diffusion continue fasse obstacle à une administration sereine de la justice. En France, la captation intégrale doit donc être suivie d’un travail de montage journalistique afin d’expliquer et de contextualiser les débats. Elisabeth De Pourquery décrit les qualités requises : maîtrise technique du dessin, rapidité, bonne mémoire et sens de l’observation. « Il faut en moyenne 10 ans pour se former et maîtriser pleinement ce métier », affirme‑t‑elle. Parmi les pièges, elle cite la distraction et la difficulté à rester concentré malgré les sollicitations extérieures.
« Si un personnage du procès est particulièrement antipathique, cela le rend aussi parfois très intéressant à dessiner. Le dessin est une force pour cela car vous n’avez qu’à vous appuyer sur ce que vous voyez pour le transformer en art sur le papier. » — Elisabeth De Pourquery, Journaliste‑Dessinatrice à France Télévisions
À l’ouverture du procès Jubillar : pourquoi les dessins de procès remplacent la vidéo
Cadre légal, exceptions et procès filmés
Qui sont les dessinateurs et quel est leur rôle dans la couverture judiciaire ?
Contraintes, subjectivité et règles déontologiques
Limites pratiques et débat sur la diffusion en direct
Compétences et pièges du métier de dessinateur d’audience