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Déconstruire le syndrome de glissement chez les personnes âgées

by charles

Le syndrome de glissement est une expression largement utilisée pour décrire une dégradation rapide et apparemment irréversible de l’état général d’une personne âgée. Le tableau peut commencer par un refus de manger, puis une immobilité croissante, et, en quelques jours ou semaines, évoquer une perte de vie. Cette notion, courante en milieu hospitalier ou en EHPAD, véhicule toutefois une vision simpliste, passive et potentiellement dangereuse du vieillissement. Il est temps de déconstruire ce concept pour mieux accompagner les personnes âgées en perte d’autonomie.

Définition : qu’est-ce que le syndrome de glissement ?

Le syndrome de glissement est un concept principalement utilisé en France pour décrire une dégradation rapide de l’état général d’une personne âgée, souvent déclenchée par un événement comme une hospitalisation, une chute, un deuil ou un changement de lieu de vie. Sur le plan médical, ce terme n’a pas de fondement scientifique: il n’existe ni marqueur biologique ni critère diagnostique strict, et il n’est pas reconnu dans les classifications internationales telles que le DSM-V ou la CIM-11. Ce flou en fait un terme commode… Et dangereux, car il empêche de poser les bonnes questions et d’engager une démarche diagnostique et thérapeutique adaptée, avertit le Pr Gilles Berrut, gériatre.

Un diagnostic de renoncement : dire qu’un patient glisse peut signifier une perte d’espoir quant à l’efficacité des soins. « Dire qu’un patient glisse, c’est parfois arrêter de chercher ce qui le fait souffrir, et inconsciemment, c’est parfois cesser de soigner », souligne le spécialiste. Le terme évoque une trajectoire supposée inévitable, donnant l’illusion d’un diagnostic sans conduite à tenir. À défaut d’examens approfondis ou de traitements, il peut justifier l’abandon des soins sous couvert d’humanité. Le vrai danger, c’est qu’en nommant la situation, on croit l’avoir comprise, ce qui peut masquer une paresse diagnostique ou une renoncement à établir les bonnes questions à poser.

Pourtant, dans certains cas, le glissement est réversible si l’on identifie et traite les causes sous-jacentes. « Le glissement peut être réversible, à condition d’en identifier les causes », rappelle le Pr Berrut.

Signes généralement associés au syndrome de glissement

Les signes cliniques sont nombreux et souvent discrets au début. Leur association et leur progression rapide doivent toutefois alerter les professionnels et les proches :

  • Refus de s’alimenter ou de boire, parfois sans plainte apparente, signe d’un abandon silencieux.
  • Repli sur soi, perte d’intérêt pour les interactions, mutisme progressif et parfois perte d’hygiène personnelle.
  • Immobilité croissante, alitement, absence de désir de se lever ou de marcher, diminution de la participation aux activités quotidiennes.
  • Perte de poids rapide, avec fonte musculaire accélérée (sarcopénie) conduisant à une faiblesse et une dépendance fonctionnelle accrue.
  • Altération de l’état de conscience, allant d’une confusion légère à une vigilance fluctuante, avec mutisme ou somnolence et parfois apathie profonde.
  • Troubles du sommeil, désynchronisation du rythme veille-sommeil, désorientation temporo-spatiale et perte des repères corporels et environnementaux.
  • Désengagement global, retrait des stimulations extérieures (télévision, musique, repas, soins, événements du quotidien).
  • Évolution possible vers la grabatisation ou le décès rapide, en quelques jours à quelques semaines.

Ces signes, variés et parfois discrets, traduisent une altération globale de la personne âgée – physique, psychique et émotionnelle – et ne surviennent jamais par hasard.

Syndrome de glissement : des causes souvent multiples… et surtout évitables

Bien loin d’être un seul mécanisme, le syndrome de glissement résulte généralement de causes multiples, intriquées mais identifiables :

  • Une dépression du grand âge, masquée ou non verbalisée.
  • Des douleurs chroniques non exprimées par le patient.
  • Des troubles cognitifs, démence naissante ou confusion aiguë.
  • Des infections (urinaires, pulmonaires) parfois sans fièvre apparente.
  • Les effets secondaires de médicaments (iatrogénie), fréquents chez les personnes polymédiquées.
  • Un isolement affectif, un changement brutal d’environnement et la perte de repères.

Chacun de ces éléments peut conduire à un effondrement physique et psychique, et chacun mérite une prise en charge adaptée. Dans bien des cas, un rééquilibrage est possible et peut même conduire à une rémission.

Un regard âgiste sur la vieillesse

Le syndrome de glissement révèle nos représentations sociales de la vieillesse. « Trop souvent, on justifie la détresse des aînés par des phrases toutes faites, comme : “c’est de son âge”, “il ou elle se laisse aller”, ou “il ou elle a fait son temps”. Ces propos traduisent une banalisation de la souffrance des aînés », regrette le Pr Berrut. Il insiste sur le fait que même malade ou dépendante, une personne âgée mérite attention, dignité et reconnaissance de ses désirs, de sa douleur, de sa révolte et de sa joie—à condition d’apprendre à l’écouter.

Le traitement : repenser l’accompagnement des personnes âgées en détresse

Pour le Pr Berrut, il est urgent de changer de regard et de repenser l’accompagnement des personnes âgées en détresse. Vieillir n’est pas renoncer.

Identifier les signaux d’alerte : poser le bon diagnostic

La première étape consiste à repérer les signes précoces de repli. Face à une perte d’appétit, une apathie soudaine ou un refus de soins, il faut interroger la souffrance et identifier ce qui pourrait être source de douleur, de deuil, d’isolement ou de perte de repères. Cette démarche doit s’appuyer sur une évaluation clinique rigoureuse: examen complet, écoute des aidants, bilan biologique de première intention (sodium, calcium, glycémie, TSH, créatinine…), et une évaluation gériatrique globale (nutrition, cognition, douleurs, environnement, dépression…).

Comment soigner le syndrome de glissement ? Et sortir de l’inaction ?

Soigner une personne âgée en repli, c’est aussi lui redonner du sens, un projet et des liens. L’approche doit être pluridisciplinaire et bienveillante, associant gériatre, psychologue, aides-soignants, infirmiers, kinésithérapeutes, ergothérapeutes et diététiciens. La réussite passe par le maintien ou la reconstruction du lien humain et une remise en mouvement adaptée.

Recréer du lien humain

  • Une présence régulière et rassurante,
  • L’appellation par le prénom, le toucher apaisant et un regard bienveillant,
  • L’implication des proches pour réancrer la personne dans le réel.

Proposer des soins individualisés et doux

  • Respect des rythmes des patients,
  • Servir de petites portions savoureuses pour relancer l’appétit,
  • Soigner l’image de soi avec des toilettes valorisantes et des vêtements choisis avec soin.

Redonner un sens au quotidien

  • Activités simples mais significatives (musique, promenades, jeux, discussions),
  • Réveiller la mémoire affective et les désirs enfouis,

Soigner aussi le psychisme

  • Proposer un suivi psychologique, même en institution,
  • Envisager éventuellement un traitement antidépresseur si nécessaire,
  • Soutenir la personne dans son histoire et ses pertes sans la réduire à son âge ou à un symptôme.

Ne jamais renoncer à accompagner les personnes âgées : lorsque la fin de vie approche, les soins palliatifs et le confort prennent tout leur sens. « Mieux vaut appeler un chat un chat : quand la fin de vie approche, il faut savoir la nommer et adapter l’accompagnement en conséquence », souligne le Pr Berrut. En dehors de ces situations, une évaluation précise, une présence sincère et une attention au détail peuvent faire émerger des signes de vie là où l’on ne les attendait plus.

Repenser l’accompagnement des personnes âgées en détresse, c’est refuser la résignation. Chaque personne, quel que soit son âge, mérite d’être écoutée, valorisée et entourée.

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