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Pourquoi l’Europe a besoin d’Erdogan maintenant

par Sara
Turquie, Union européenne, Royaume-Uni, Allemagne, Grèce, Chypre, Russie, Ukraine

Le 27 octobre 2025, à Ankara, le Premier ministre britannique Keir Starmer et le président turc Recep Tayyip Erdogan ont scellé un accord majeur : la vente de 20 avions de combat Eurofighter Typhoon à la Turquie, d’un montant d’environ 8 milliards de livres sterling, avec l’objectif éventuel d’atteindre 40 appareils. La cérémonie, marquée par la présence du ministre britannique de la Défense John Healey et du chef de la Royal Air Force, ainsi que par le survol de trois Typhoons, a été présentée comme un symbole fort d’un tournant stratégique. Pour Ankara, cette signature représente une victoire politique après des années de négociations compliquées ; pour l’Europe, elle illustre surtout un changement d’approche face à la Turquie.

Un revirement de langage et de politique

Jusqu’à récemment, les institutions européennes usaient d’une rhétorique très critique envers Ankara, pointant des divergences sur la gouvernance et la politique extérieure. Toutefois, au fil des ans, cette tonalité s’est adoucie : des rapports récents ont recommandé de renforcer les liens et de relancer les dialogues de haut niveau entre l’Union européenne et la Turquie. Cette évolution s’est traduite concrètement par des rencontres diplomatiques récentes et des visites de responsables européens à Ankara, signes d’une volonté pragmatique d’engager une coopération plus étroite.

Le cœur battant de la sécurité européenne

Le repositionnement européen s’explique avant tout par des considérations de sécurité. La Turquie dispose de l’une des forces armées les plus importantes de l’OTAN après les États-Unis et occupe une position géographique stratégique entre Europe, Moyen-Orient et mer Noire. Dans ce contexte, Ankara joue un rôle décisif sur des dossiers clefs comme la Syrie, la Libye, Gaza et les tensions en Méditerranée orientale.

Par ailleurs, la Turquie a accru son poids opérationnel en mer Noire et dans la protection des lignes maritimes ; selon certaines estimations, ses services fournissent une part substantielle des renseignements maritimes utiles à l’OTAN et à l’Ukraine. Ce double positionnement — soutien opérationnel à l’Ukraine tout en maintenant un canal diplomatique avec Moscou — confère à Ankara une marge d’action que les capitales européennes jugent aujourd’hui utile.

Un partenaire industriel et militaire

Au-delà du volet stratégique, la Turquie s’affirme comme un acteur industriel de poids. Sa filière de défense a connu une montée en puissance rapide : les exportations ont atteint des niveaux record, et des entreprises turques de l’aéronautique et de l’armement se sont imposées sur de nombreux marchés. Les systèmes de drones turcs, en particulier, ont démontré leur efficacité et suscité une forte demande internationale.

L’accord Eurofighter s’inscrit dans cette dynamique : il offre à la Turquie une capacité de transition pour moderniser sa flotte en attendant l’entrée en service de ses projets nationaux de chasseurs de nouvelle génération. Pour l’Europe, il ouvre aussi la porte à des coopérations industrielles complémentaires plutôt qu’à une concurrence frontale.

Enjeux énergétiques et économiques

Les relations euro‑turques reposent également sur des intérêts économiques profonds. Le commerce bilatéral a atteint des sommets récents, et l’Union européenne reste le principal partenaire commercial d’Ankara. La zone de libre‑échange consolidée entre les deux parties depuis les années 1990 continue d’encadrer des échanges industriels et manufacturiers intensifs.

Sur le plan énergétique, la Turquie occupe une position clé sur les routes du gaz vers l’Europe, avec des capacités d’acheminement et d’entreposage qui pourraient aider l’UE à diversifier ses approvisionnements. Des projets visant à faire d’Ankara un hub régional de distribution de gaz ont d’ailleurs été discutés, renforçant l’intérêt stratégique pour des relations stables et coopératives.

Des opinions européennes divergentes

Malgré le rapprochement opérationnel, les capitales européennes ne forment pas un front uni sur la question turque. Certains pays de l’Est, comme la Pologne, voient en Ankara un partenaire utile pour contenir les risques liés à la Russie et ont déjà acquis des équipements turcs. Les États du sud de l’Europe, notamment l’Italie et l’Espagne, privilégient eux aussi des coopérations industrielles et technologiques accrues.

En revanche, la France et la Grèce demeurent réticentes ; Paris considère la Turquie comme un concurrent géopolitique sur plusieurs théâtres, tandis qu’Athènes reste profondément méfiante en raison de différends historiques et maritimes. Ces divergences expliquent pourquoi l’intégration d’Ankara dans des projets européens reste sélective et encadrée par des intérêts nationaux variés.

Vers quel type de partenariat ?

La vente d’Eurofighters révèle que l’Europe est prête, au moins partiellement, à intégrer la Turquie dans sa logique de défense et d’industrie. Toutefois, la transformation de cette base pragmatique en une véritable « partenariat stratégique » dépendra de la capacité de Bruxelles et des États membres à concilier intérêts sécuritaires, impératifs industriels et préoccupations politiques. En outre, Ankara devra naviguer entre ses ambitions souveraines et les attentes des alliés européens.

En définitive, l’accord signé à Ankara marque une étape significative : il consacre la montée en puissance de la Turquie comme acteur incontournable pour la sécurité, l’industrie et l’approvisionnement énergétique de l’Europe, tout en rappelant que ce rapprochement restera conditionné aux équilibres politiques et aux intérêts contrastés des États européens.

source:https://www.aljazeera.net/politics/2025/12/23/%d9%84%d9%85%d8%a7%d8%b0%d8%a7-%d8%aa%d8%ad%d8%aa%d8%a7%d8%ac-%d8%a3%d9%88%d8%b1%d9%88%d8%a8%d8%a7-%d9%84%d8%a3%d8%b1%d8%af%d9%88%d8%ba%d8%a7%d9%86-%d8%a7%d9%84%d8%a2%d9%86-%d8%a3%d9%83%d8%ab%d8%b1

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