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La troisième programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) reflète la faiblesse du débat politique actuel et le manque d’ambition de l’exécutif, au détriment des engagements climatiques et de la sécurité énergétique française.
Un symbole fort d’une démocratie énergétique en crise
Le lundi précédent, François Bayrou a ouvert, devant un hémicycle presque vide, le débat – sans vote – sur la programmation pluriannuelle de l’énergie, annoncée le 2 avril. Cette scène illustre l’état de délabrement dans lequel se trouve aujourd’hui la discussion sur un sujet fondamental : la sécurité énergétique nationale.
Il y a dix ans, la majorité des parlementaires français adoptait une loi visant à réduire drastiquement la dépendance aux énergies fossiles. Cette loi de transition énergétique pour la croissance verte instaurait notamment la PPE, une feuille de route décennale, révisée tous les cinq ans, destinée à aligner progressivement la demande avec une production d’énergie décarbonée.
Cependant, cette loi présentait deux défauts majeurs. D’une part, par prudence gouvernementale, elle restait ambiguë sur la question nucléaire, un enjeu crucial lié au vieillissement des unités existantes. D’autre part, elle perpétuait une approche technocratique descendante : la PPE était définie par décret, sans vote parlementaire. Bien que des consultations fussent prévues, elles se révélaient peu ouvertes, et aucune obligation légale ne forçait l’exécutif à respecter cette feuille de route.
Du progrès à la régression démocratique
Lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, ces défauts ont été partiellement abordés, mais de manière ambivalente. La loi Climat de 2019, qui renforçait l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050, prévoyait que les prochaines PPE découleraient d’une loi de programmation quinquennale énergie-climat, la première devant être votée avant juillet 2023.
En théorie, ce dispositif constituait un gain pour la démocratie énergétique. Cependant, un amendement gouvernemental a permis que la PPE ne soit pas soumise à un débat public sous l’égide d’une autorité indépendante, mais seulement à une consultation menée directement par le gouvernement, créant un conflit d’intérêts évident.
Emmanuel Macron a voulu résoudre la question du nucléaire non par la voie démocratique, mais par la voie autoritaire.
Sur la question nucléaire, le silence de la loi de 2015 a été comblé par une décision unilatérale : le 9 novembre 2021, Emmanuel Macron a annoncé un nouveau programme de construction de réacteurs EPR, précisé en février 2022. Un débat public sur les six premiers réacteurs a été organisé fin 2022, mais il a échoué, perçu comme une simple formalité réglementaire, sans remise en question de l’opportunité du projet.
Ce débat déconnecté illustre la difficulté à discuter de la politique énergétique dans son ensemble, notamment du rôle du nucléaire.
La montée des droites dures et la dégradation du débat
La situation s’est aggravée depuis les législatives de juin 2022. L’absence de majorité claire et la montée des droites dures, qui instrumentalisent les débats sur les éoliennes et les parcs solaires à des fins politiciennes, ont poussé le gouvernement, tout en reconnaissant la nécessité d’accélérer la décarbonation, à contourner la légalité.
Pour éviter l’adoption d’une loi de programmation énergie-climat qui pourrait freiner les renouvelables, l’exécutif a opté pour une nouvelle PPE adoptée par voie réglementaire, sans passage par la loi.
Les voix pro-renouvelables qui s’inquiètent que ce défaut de démocratie pave le chemin de déboires futurs sont peu nombreuses.
Les acteurs du secteur des renouvelables restent majoritairement silencieux face à cette régression démocratique. Parmi les rares voix critiques figure Julie Laernoes, députée écologiste, qui en février 2024 a déposé une proposition de loi pour instaurer de nouveaux objectifs de programmation énergétique afin de répondre à l’urgence climatique.
Par ailleurs, les droites dures réclament également un passage législatif pour la troisième PPE. Une proposition portée par des sénateurs comme Gremillet, Estrosi et Retailleau, adoptée le 26 avril 2024 au Sénat, est désormais sur le bureau de l’Assemblée nationale. Ce texte remet en cause les objectifs climatiques impératifs français, soutient un nucléaire excessif et coûteux, et attaque les filières éolienne et photovoltaïque.
Un projet de PPE3 en panne et controversé
La rédaction de la PPE3 s’éternise, alors que le secteur industriel a besoin d’un cadre clair pour ses investissements. Le projet soumis à consultation publique le 4 novembre 2024 est vivement critiqué par les progressistes pour son manque d’ambition, et par l’extrême droite qui cherche à bloquer le développement des renouvelables.
Un enjeu de fond se pose : la croissance de la production électrique prévue, essentiellement via l’éolien et le photovoltaïque au sol, n’est pas compatible avec une consommation stagnante. L’absence d’une politique publique forte pour électrifier la demande, notamment dans les transports et l’industrie, compromet la cohérence du projet.
Plutôt que de traiter le sous-investissement dans la décarbonation de la demande, l’exécutif révise la copie et réduit les ambitions.
Face à cela, l’exécutif a choisi de réduire les ambitions, en baissant les objectifs de progression du photovoltaïque dans une version révisée remise en consultation en mars, afin de respecter les contraintes budgétaires et de réaliser un gain politique.
Mais cette démarche ne satisfait pas. Le 11 mars, 160 sénateurs ont adressé une lettre au Premier ministre pour lui demander de renoncer à la publication du décret de la PPE3, prévu après la clôture de la consultation le 5 avril, et pour exiger un texte conforme à la proposition de loi Gremillet.
Marine Le Pen, de son côté, dénonce un déni de démocratie et menace d’une motion de censure si le décret est adopté sans vote à l’Assemblée nationale. En réponse, François Bayrou a annoncé un débat sans vote dans l’hémicycle le 28 avril, puis au Sénat le 6 mai.
Enfin, lors de son intervention à l’Assemblée, le Premier ministre a annoncé le report de la signature du décret PPE3 à fin été 2024, précisant que le texte tiendrait compte du débat autour de la loi Gremillet à l’Assemblée.
En l’état, ce projet est une catastrophe : il compromet les engagements climatiques de la France et fragilise sa sécurité énergétique à court terme, en ralentissant la sortie des énergies fossiles, freinant les renouvelables, et en misant sur un nouveau nucléaire qui ne sera pas opérationnel avant 2040.
Vers un débat énergétique honnête et éclairé
Les espoirs suscités par la loi de 2015 instaurant la PPE s’achèvent en 2025 par une capitulation généralisée. Au-delà du climat et de la sécurité énergétique, c’est la démocratie qui sort affaiblie : la droite instrumentalise la démocratie pour promouvoir un agenda anti-renouvelables, tandis que d’autres craignent une impasse écologique accrue.
Pour sortir de cette impasse, il est impératif d’engager un dialogue politique large et honnête sur la place du nucléaire, enjeu central en France, ainsi que sur les meilleures options pour assurer la sécurité énergétique nationale.
Le dialogue politique devrait être guidé par la question de la sécurité et l’intérêt collectif, sans a priori technologique.
Une telle discussion doit s’appuyer sur un diagnostic scientifique actualisé, intégrant les coûts et le potentiel des différentes solutions. La mise à jour de l’étude prospective présentée fin 2021 par RTE doit constituer un préalable, notamment en raison de l’incertitude sur les coûts du nouveau nucléaire, dont les coûts techniques et financiers ont récemment été fortement réévalués à la hausse.
Par ailleurs, la volonté de prolonger les réacteurs existants au-delà de 60 ans est une prise de risque importante.
Un diagnostic partagé est indispensable pour identifier les options viables et débattre de façon rationnelle. C’est la première étape pour répondre à la demande croissante de démocratie sur la politique énergétique, alors que le niveau actuel du débat est décevant.
François Bayrou a justifié le report de la publication du décret PPE en déclarant dans l’hémicycle : « Nous voulons que le débat se tienne, un débat au sens plein du terme, sincère et honnête », avec « pour seule boussole l’intérêt général » et reposant « sur la méthodologie scientifique, sur les faits et sur la raison ». Un défi à relever.