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« Si on est condamnés, on nous laissera le derrière râpé comme une dinde à Noël. » Ce propos, tenu par Jean Badache, âgé de 70 ans et accusé d’avoir escroqué 663 personnes, illustre bien l’audace de l’homme en ce début mai à Marseille. Responsable d’avoir fait acquérir à ses victimes 5 307 biens immobiliers, pour un montant total s’élevant à 942 millions d’euros, il reste étonnamment calme face aux cent vingt avocats présents dans la salle et aux nombreuses victimes qui attendent ce procès depuis dix-sept ans, depuis son ouverture le 31 mars dernier.
Une défense impassible face aux accusations
Seul à la barre, Jean Badache ne se retourne jamais vers le public ni les plaignants. Malgré plusieurs heures d’interrogatoire, il garde une posture debout, refusant même la proposition de la présidente du tribunal, Azanie Julien-Rama, de s’asseoir. Son langage, teinté d’un accent marseillais, alterne entre esquives et répliques vives, témoignant d’une grande maîtrise face à l’adversité judiciaire.
La promesse d’un « financement 100 % garanti »
Au début des années 2000, alors que le marché immobilier connaît un véritable boom, la société Apollonia, basée à Aix-en-Provence, se positionne comme un acteur incontournable de la gestion patrimoniale. La société promettait à ses clients un montage financier « 100 % garanti, sans caution personnelle, sans épargne, sans mettre vos acquis en balance ». Selon Jean Badache, l’endettement professionnel était dissocié de l’endettement personnel et pouvait ainsi être « illimité ».
La clientèle ciblée était essentiellement composée de médecins, en particulier les généralistes (45 %) et les dentistes (35 %), choisis pour leurs revenus « linéaires ». Les spécialistes ou certains corps de métiers comme les agents immobiliers, assureurs, banquiers, ou avocats étaient délibérément exclus, car trop avertis ou difficiles à joindre.
Une stratégie commerciale bien rodée
Les commerciaux d’Apollonia mettaient en avant la nécessité de « stopper l’hémorragie fiscale », tout en conseillant aux prospects d’ignorer l’entourage professionnel, notamment les avocats et experts-comptables, qui auraient pu mettre en lumière les risques du montage proposé. Une fois engagé, selon la formule interne, « une fois la toile tendue », il était impossible de revenir en arrière, piégeant ainsi les investisseurs.
Une surévaluation massive des biens immobiliers
Jean Badache intervenait ensuite pour finaliser les dossiers, et les clients signaient une multitude de documents, parfois vierges, sans se rendre compte qu’ils engageaient plusieurs emprunts simultanément. Jean Imbert, vice-président de l’association des victimes, relate son propre cas : il a emprunté 1,4 million d’euros auprès de quatre banques pour acquérir des biens en VEFA d’une valeur de 1 258 300 euros TTC, mais devait rembourser 115 917 euros par an alors que ses revenus annuels ne s’élevaient qu’à 55 000 euros.
À la revente, les biens étaient systématiquement surévalués. Par exemple, un appartement dans une station de ski de luxe a été acheté pour 500 000 euros alors qu’un expert désigné par les plaignants l’estime à seulement 170 000 euros. Cette surévaluation s’explique par la TVA non récupérée, la commission Apollonia estimée à 15 %, ainsi que des frais bancaires et d’intérêts intercalaires, représentant au total environ 50 % de la valeur d’achat réelle.
Des banques étonnamment absentes du banc des accusés
Étonnamment, les grandes banques telles que CIFRA, Crédit Mutuel, Banque Palatine ou HSBC ne figurent pas parmi les accusés. Pourtant, il semble improbable qu’elles n’aient pas su qu’elles prêtaient simultanément à un même client. Certaines institutions ont fait preuve d’un laxisme manifeste, allant jusqu’à ne pas exiger de relevés bancaires ou à ignorer l’endettement professionnel des emprunteurs.
Me Monneret, avocat des époux Badache, souligne que les banques ont d’abord été mises en examen avant d’être blanchies, ajoutant qu’elles ont désormais l’audace de se porter parties civiles et de réclamer des sommes très importantes. La plupart des clients ont suspendu leurs remboursements depuis 2009, période où la législation a été durcie concernant le statut de « loueur meublé professionnel », déclenchant une avalanche de plaintes et la chute de Jean Badache, arrêté à son retour d’un séjour aux Maldives.
Falsifications et responsabilités occultes
Les enquêteurs ont découvert que trois secrétaires d’Apollonia avaient falsifié des demandes de prêts en effaçant des mentions relatives à des emprunts antérieurs ou crédits en cours. Ces manipulations ont permis aux banques d’ignorer la véritable situation financière des clients. Jean Badache nie avoir donné de telles consignes, rappelant que ces salariées ne recevaient aucune rémunération supplémentaire hormis leur salaire, pourtant très élevé (4 500 euros par mois), ainsi qu’une voiture de fonction, des cadeaux et des séminaires dans des hôtels de luxe.
Ces secrétaires, responsables lors des absences des époux Badache – résidents suisses à partir de 2006 – ont été prêtes à tout pour conserver leurs emplois dorés. Jean Badache affirme n’avoir eu aucune connaissance des manœuvres frauduleuses perpétrées derrière son dos, incriminant également son avocat-conseil, les notaires et les banques, tous accusés de négligence ou de complicité involontaire.
Un train de vie fastueux et une affaire de cupidité
Malgré les accusations, Jean et Viviane Badache ont mené un train de vie luxueux : une villa à Cassis achetée 5 millions d’euros, un riad à Marrakech pour 2 millions, un chalet à Crans-Montana en Suisse à 6 millions, ainsi que des cadeaux et jet privé. Jean Badache se défend en affirmant ne pas être « accro à l’argent », expliquant qu’ayant les moyens, il n’avait pas la tentation du gain excessif. Selon l’avocat Me Monneret, cette affaire est avant tout une histoire de cupidité collective, impliquant notaires, avocats, banques, commerciaux et même certaines victimes.
En effet, 48 % des clients d’Apollonia ont déposé plainte, représentant 84 % des investissements. Selon l’avocat, ceux-ci auraient été trop ambitieux tandis que les autres, plus prudents, s’en sont mieux tirés.
Les victimes réclament justice
Au fond de la salle d’audience, les victimes expriment leur colère et désarroi. Jean Imbert déclare : « Nous avons fait confiance à des spécialistes : notaires, banques reconnues, cadre légal… Nous pensions être en sécurité. Est-ce que faire confiance est contraire à la loi ? » Non loin, une femme tient le portrait de son mari, qui s’est suicidé sous le poids du surendettement causé par cette escroquerie monumentale.