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La Cour de cassation a confirmé ce mardi 6 mai la mise en examen du groupe français Vinci Construction Grand Projets (VCGP) dans une affaire de travail forcé au Qatar, permettant ainsi à l’instruction de reprendre son cours après plus de dix ans de procédures.
Une longue bataille judiciaire autour des conditions de travail au Qatar
Cette décision intervient dix ans après le dépôt de plainte initié en 2014 par l’ONG Sherpa, engagée auprès des travailleurs dont la santé s’était gravement détériorée sur les chantiers de la Coupe du monde de football 2022 à Doha. Les témoignages recueillis dressent un portrait alarmant de conditions de travail extrêmes.
Dans la chaleur étouffante du désert qatari ou dans des tunnels où la température dépasse les 45 °C, les ouvriers ont subi des journées infernales, avec un accès limité à l’eau et à l’ombre, ainsi que des mesures de sécurité jugées insuffisantes, provoquant évanouissements en série et blessures graves. Ces accidents de travail s’ajoutaient à des conditions de vie inhumaines, avec des logements insalubres et une alimentation insuffisante.
Sur les chantiers de la Coupe du monde 2022, des travailleurs avaient vu leur santé se dégrader en raison de journées de labeur infernales. A Doha (Qatar), en janvier 2017. (Lars Baron/Getty Images. AFP)
Un piège pour les migrants indiens et népalais
Les travailleurs, majoritairement originaires d’Inde et du Népal, décrivent un système d’exploitation renforcé par des dettes énormes contractées auprès des agences de recrutement pour obtenir leur emploi. Cette situation les enfermait dans un cercle vicieux, car ils étaient contraints de rembourser ces sommes pendant des années, souvent sans pouvoir récupérer leurs passeports, les privant ainsi de toute liberté de mouvement.
Certains, dans l’incapacité de s’échapper de ce cycle, ont été renvoyés dans leur pays d’origine dans un état critique, tandis que d’autres ont malheureusement trouvé la mort sur place, dans des circonstances encore largement inexpliquées.
Une mise en examen confirmée malgré les recours de Vinci
En novembre 2022, Vinci avait été mis en examen, mais le groupe français avait multiplié les recours pour faire annuler cette décision, avançant que le juge français n’avait pas compétence pour instruire une affaire aux ramifications internationales et que la responsabilité devait être attribuée à sa filiale locale, Diar Vinci Construction. Ces arguments ont été rejetés tant par la chambre d’instruction de Versailles en 2024 que par la Cour de cassation ce mardi.
Laura Bourgeois, chargée de contentieux et de plaidoyer à Sherpa, souligne l’importance de cette décision : « En confortant le pouvoir d’enquête du juge français sur les agissements de la multinationale, la Cour envoie un signal très favorable à la lutte contre l’impunité des acteurs économiques. Alors que Vinci espérait écarter certains motifs de la plainte, cette décision permet à l’enquête de suivre son cours sur l’intégralité des infractions alléguées. »
Les chefs d’accusation retenus contre Vinci
Vinci Construction Grands Projets fait désormais face à plusieurs chefs d’accusation graves, notamment :
- Réduction en servitude
- Travail forcé
- Conditions de travail et d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine
- Obtention de services en échange d’une rétribution manifestement sans rapport avec l’importance du travail accompli
Le juge d’instruction dispose désormais de la possibilité de clore l’enquête et de renvoyer Vinci devant un tribunal pour jugement. Après une décennie de bataille juridique centrée sur des questions de procédure, un procès sur le fond semble enfin se dessiner, ce qui constitue une avancée importante pour les travailleurs et leurs droits.
Laura Bourgeois se réjouit ainsi : « Après une décennie à batailler sur la forme, on se rapproche enfin du procès, des débats et d’une décision sur le fond. Et c’est une excellente nouvelle pour ceux qui espèrent obtenir réparation. »