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La guerre au Soudan approche de sa troisième année, après les affrontements déclenchés le 15 avril 2023 entre les Forces de soutien rapide (RSF) et l’armée soudanaise. Le conflit a infligé des pertes humaines massives, des violences sexuelles et des violations graves des droits, provoquant des déplacements intérieurs et vers l’étranger.
Les infrastructures publiques et privées ont été détruites, des moyens de production pillés, et l’économie nationale largement paralysée. Face à cette réalité, des chercheurs et experts se sont réunis pour analyser les transformations du conflit et ses répercussions régionales.
Session spéciale du Centre Al Jazeera des Études
Le Centre Al Jazeera des Études a organisé une session intitulée « La guerre au Soudan : transformations et répercussions », dans le cadre du colloque « Afrique et défis de la sécurité et de la souveraineté à l’heure des transformations géopolitiques ».
La session a examiné le paysage soudanais comme reflet de l’effondrement de l’État central et du changement des équilibres de pouvoir régionaux. Les débats ont porté sur :
- les dynamiques internes du conflit et la fragmentation du pouvoir ;
- la montée d’acteurs non institutionnels et communautaires ;
- les conséquences régionales, du Sahel à la mer Rouge et au Horn de l’Afrique ;
- la reconfiguration des réseaux d’influence et des ressources économiques.

Intervenants principaux :
- Osama Aydrous — professeur en études stratégiques et de sécurité (analyse des dynamiques de pouvoir) ;
- Mohamed Torshin — chercheur spécialiste des affaires africaines (désagrégation de l’autorité centrale) ;
- Abdelqader Mohamed Ali — journaliste et analyste érythréen (conséquences régionales) ;
- Taj al-Sir Abdallah — expert en géopolitique et relations internationales (économie en temps de guerre).
Bilan humain et destruction des capacités
Le conflit a provoqué une crise humanitaire profonde : pertes en vies humaines, violences sexuelles massives et violations systématiques des droits fondamentaux.
Parmi les conséquences immédiates :
- déplacements massifs de populations à l’intérieur et à l’extérieur du Soudan ;
- affaiblissement et pillage des infrastructures publiques et privées ;
- interruption des services essentiels (santé, éducation, administration) ;
- paralysie des secteurs stratégiques comme l’or et le pétrole.

Origines et dynamiques du conflit
Les intervenants ont retracé les racines historiques du conflit. La gouvernance post-coloniale a favorisé l’émergence d’une élite liée aux forces armées, sans établir de mécanismes sûrs de transfert pacifique du pouvoir.
Selon l’analyse présentée, ce modèle s’est perpétué après la chute du régime d’Omar el-Béchir en 2019, et la militarisation de groupes comme les RSF a contribué à l’escalade.
« L’armée soudanaise conserve encore sa force de frappe et sa cohésion : elle dispose toujours de 19 divisions qui exercent un contrôle total. Quant aux Forces de soutien rapide, elles continuent de recevoir un soutien extérieur soutenu. »
Les sanctions internationales et les pressions diplomatiques ont commencé à cibler certaines sources d’appui aux RSF, notamment après les atrocités rapportées dans des villes comme El-Fachir.
Fragmentation du pouvoir et montée d’acteurs non institutionnels
La guerre n’est pas restée une confrontation conventionnelle entre deux armées : elle a pris la forme d’un conflit existentiel, favorisant la désintégration des institutions étatiques.
Conséquences observées :
- effondrement des services publics dans les zones sous contrôle des RSF ;
- essor d’acteurs non étatiques — chefs tribaux, milices locales, groupes armés — assumant des fonctions de sécurité et d’administration ;
- perturbation des secteurs économiques clés, notamment l’or et l’énergie.
La montée de l’autorité tribale et d’autres formes d’influence informelle a redessiné les logiques de pouvoir sur le terrain, rendant plus complexe toute perspective de restauration d’un État central fort.
Conséquences régionales : marché des combattants et diffusion des armes
Les répercussions du conflit dépassent les frontières soudanaises. Le Soudan est devenu :
- un marché pour les combattants venus du Sahel et d’autres pays africains ;
- un terrain d’entraînement pour des groupes armés régionaux ;
- une plaque tournante pour le trafic d’armes et de carburant.
Ces dynamiques risquent d’alimenter l’instabilité dans des États fragiles voisins, tels que l’Éthiopie, le Tchad et le Soudan du Sud, où le contrôle des frontières et la résilience institutionnelle sont limités.
Économie en temps de guerre : recomposition des réseaux d’influence
La guerre a profondément transformé les réseaux d’accès aux ressources et la structure économique du pays. Les acteurs armés et informels ont pris le contrôle de segments lucratifs, redéployant les flux de revenus.
Points clés discutés :
- réduction de la capacité de l’État à fournir des services et à assurer la sécurité économique ;
- capture de filières lucratives (or, hydrocarbures) par des acteurs non étatiques ;
- émergence de nouvelles clientèles économiques liées aux groupes armés.
Le recul de l’État face à ces dynamiques compromet la possibilité d’une relance économique durable sans un rétablissement préalable de l’autorité et de la sécurité.
Points saillants et enjeux à suivre
La session du Centre Al Jazeera des Études a mis en lumière plusieurs constantes : la résilience de structures militaires, la montée d’acteurs non institutionnels, l’internationalisation du conflit et l’impact économique massif.
Les éléments à surveiller dans les prochains mois :
- évolution du soutien extérieur aux belligérants et impact des sanctions ;
- grandeur et direction des flux de combattants et d’armes via le Soudan ;
- capacité des acteurs régionaux à contenir les retombées sécuritaires ;
- initiation de processus politiques crédibles permettant une restauration progressive de l’État.